L’évacuation forcée du bois Lejuc, occupé depuis un an et demi par des opposant·e·s au projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo, pourrait avoir l’effet contraire à celui escompté par le gouvernement..
Archives de catégorie : Presse / Actu
A Notre-Dame-des-Landes, « la fête des humbles chahutant les puissants »
La « ZAD » de Notre-Dame-des-Landes fête l’abandon de l’aéroport
NOTRE-DAME-DES-LANDES (Reuters) – Plusieurs milliers d’opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ont fêté sur place leur « victoire », samedi, au lendemain de l’expiration du délai de validité de la déclaration d’utilité publique (DUP) de ce projet.
Ce document était valable dix ans à compter de sa signature, en février 2008. Le Premier ministre, Edouard Philippe, a dit le 17 janvier, lors de l’annonce de l’abandon du projet, que le gouvernement retirerait la demande de prolongation qu’il avait déposée au Conseil d’État.
Les opposants avaient appelé à un grand rassemblement ce samedi, avant-même l’annonce du Premier ministre, pour parer à toute tentative d’évacuation de la « zone à défendre » (ZAD).
Certains sont venus avec des plants d’arbres pour symboliser « l’enracinement de la ZAD » et leur volonté de peser sur la future affectation des terrains ainsi préservés.
Ils s’inspirent notamment du modèle de la Société civile des terres du Larzac, que l’ancien syndicaliste agricole José Bové, aujourd’hui député écologiste européen, a contribué à créer en 1985 sur ce plateau du Massif central, quatre ans après l’abandon d’un projet d’extension du camp militaire voisin.
Un modèle viable, estime José Bové, venu pour l’occasion à Notre-Dame-des-Landes.
« Aujourd’hui, cela continue : on a augmenté le nombre de paysans de 26 % », souligne-t-il. « On a aussi diversifié l’activité : il y a une coopérative de bergers qui a 37 salariés, une coopérative qui transforme la viande, des gîtes et plein d’autres choses. »
TENSIONS
Sur la remorque d’un tracteur, des opposants déguisés en gaulois avaient déployé une banderole proclamant à l’adresse des partisans du projet d’aéroport : « Vous êtes venus, on vous a vus, on vous a vaincus ». Allusion à « l’opération César », une tentative avortée d’évacuation de la ZAD en 2012.
Un triton géant en tissu, symbolisant les espèces menacées par le projet, a participé à une grande « déambulation » sur la ZAD. Les « zadistes » ont brûlé un avion en bois à côté d’autres maquettes représentant des « luttes-soeurs » contre des projets comme le centre d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure (Meuse) ou la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin.
« L’État et le Parlement doivent légiférer pour changer les règles du jeu », a dit à Reuters José Bové. « Il faut que cela se traduise dans les lois pour montrer qu’on ne peut plus décider de manière complètement dictatoriale. »
« Cette lutte a gagné car le bon sens a prévalu », a ajouté l’ex-syndicaliste agricole. « Je veux maintenant que les autres projets obsolètes ou complètement disproportionnés puissent aller dans la même logique : tout cela doit être re-réfléchi de manière radicalement différente. »
Des tensions persistent à Notre-Dame-des-Landes autour de la remise en état de la départementale D281, la « route des chicanes », qui se fait sous surveillance policière en raison de l’hostilité d’une minorité de « zadistes » radicaux.
L’abandon du projet d’aéroport suscite aussi des tensions à Bouguenais, commune qui accueille l’actuel aéroport de Nantes, où 300 personnes ont manifesté samedi pour dénoncer la « trahison » du chef de l’Etat, Emmanuel Macron.
Ils ont symboliquement déposé leurs cartes d’électeurs dans un cercueil pour protester contre le non-respect du référendum de juin 2016 en Loire-Atlantique, qui s’était soldé par un vote à 55% en faveur du projet de Notre-Dame-des-Landes.
Sur la ZAD, le choc de la victoire
Au lendemain de la décision du gouvernement de ne pas construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les habitant·e·s du bocage nantais, pour certain·e·s en lutte depuis des décennies, ont encore du mal à croire à la nouvelle. Le soulagement et la joie sont présents, mais d’autres questions affleurent déjà.
ZAD de Notre-Dame-des-Landes, de nos envoyés spéciaux.- Au petit matin, jeudi 18 janvier, alors que le jour n’était pas encore levé, une dalle de béton a été coulée sous le hangar de l’avenir, cette belle charpente érigée en 2016 pour abriter un atelier de formation à la menuiserie et une scierie. La première journée sans aéroport vient de démarrer sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
À la même heure, Marcel Thébault, paysan historique de la lutte, a trait ses vaches dans l’étable de la ferme du Liminbout. À Bellevue, Camille a pris soin du troupeau bovin collectif. Dans leurs caravanes, camions ou maisons, des habitant·e·s ont dormi tard pour effacer la fatigue et l’ivresse de la veille. Les plus motivé·e·s ont commencé à préparer l’assemblée générale qui doit se tenir le soir pour décider des suites de la lutte.
Car tout a changé pour le bocage de Notre-Dame-des-Landes. Les 1 650 hectares ne seront pas détruits. Une sidération joyeuse se lit dans les yeux et les sourires des occupant·e·s qui arpentent les chemins de la zone. Ces arbres, ces champs d’herbe et ces sentiers, si souvent contemplés en ayant peur de les perdre, ne finiront finalement pas sous le béton. Prises dans les mille tâches que requiert la vie sur la ZAD : préparer des repas collectifs, déposer les rebuts à la déchetterie, trier des vêtements donnés, préparer un chantier de construction, les personnes croisées sur les chemins répètent leur difficulté à croire à ce qu’elles sont en train de vivre. Leurs premières heures sans aéroport.On entend : « C’est irréel », « J’ai du mal à réaliser », « Ça fait tellement longtemps qu’on luttait ». « Il y a eu comme un choc culturel hier, résume Marcel Thébault, jeudi soir, en nourrissant ses vaches. C’est un moment pour que les choses bougent. »
Jeudi matin, des volontaires ont nettoyé et rangé la Vache Rit, lieu historique du mouvement contre l’aéroport, qui a accueilli la fête de la victoire, la veille. Les dizaines de gobelets marqués du logo rouge « Non à l’aéroport » sont soigneusement rangés dans un carton. « Il va falloir les changer », sourit une femme. « On écrit : “Enracinons l’avenir” ? », slogan du rassemblement prévu le 10 février sur la zone, propose une militante de l’ACIPA. Des journalistes zonent sous la pluie à la recherche de zadistes à interroger ou photographier. Une équipe a perdu son pied de caméra.
À Vigneux et à La Pâquelais, les villages environnants, des compagnies de gendarmes sont signalées, de même que des convois ont été aperçus sur la quatre voies, mais sur place, la présence des forces de l’ordre est discrète. Pas d’hélicoptère, pas de check-point. L’afflux de renforts militants vers la ZAD, redouté par les forces de l’ordre, ne se produit pas. « Il y a une situation nouvelle, une nouvelle séquence qui s’ouvre », expliquent en début d’après-midi deux habitant·e·s à des journalistes réunis à La Rolandière, lieu d’accueil de la ZAD. Pas question pour l’instant d’évoquer la suite. « Je vous rappelle que la décision date d’hier », indique une occupante quand on lui demande ce qui est prévu.
L’annonce de l’abandon de l’aéroport a été fêtée toute la nuit de la veille en divers lieux de vie de la ZAD. Une célébration d’anthologie, moment poignant de joie collective, physique, pleine de câlins, d’embrassades et de congratulations. Beaucoup rient, chantent, dansent en se tenant par le bras, en petits groupes, serrés les un·e·s contre les autres, en pogo punk. Quelques pluies de champagne arrosent les danseurs. Certain·e·s pleurent de joie. Des enfants jouent dans la cour à faire peur aux inconnus. De vieux paysans côtoient des jeunes squatteurs. À la sono, chaque morceau ou presque donne lieu à interprétation : We are the champion, de Queen, Résiste, de France Gall, You can get it if you really want, de Desmond Dekker…
Toutes les composantes du mouvement sont présentes : l’association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa), l’association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca), le collectif Copains (des agriculteurs solidaires de la région), les naturalistes en lutte, et bien entendu, les occupant·e·s. L’eurodéputé EELV Yannick Jadot et son équipe circulent entre les danseurs.
Dans un communiqué commun diffusé mercredi après-midi, le mouvement parle d’« une victoire historique face à un projet d’aménagement destructeur », qui « aura été possible grâce à un long mouvement aussi déterminé que divers ». Sur l’avenir de la ZAD, il pose trois conditions : « La nécessité pour les paysan-ne-s et habitant-e-s expropriés de pouvoir recouvrer pleinement leurs droits au plus vite », « le refus de toute expulsion de celles et ceux qui sont venus habiter ces dernières années dans le bocage », et enfin, la « prise en charge à long terme des terres de la ZAD par le mouvement dans toute sa diversité ». Le communiqué demande également une « période de gel de la redistribution institutionnelle des terres ».
« La route des barricades a une histoire liée à la résistance »
Dès l’après-midi, les échanges reprenaient entre la préfecture de Loire-Atlantique et les opposant·e·s. Interrogé par CNews jeudi matin, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, s’est voulu ferme : « Dans les deux-trois jours qui viennent, nous souhaitons libérer les routes », a-t-il expliqué, avant d’évoquer finalement l’échéance de la fin de la semaine prochaine. « Nous préférons le faire par la discussion, la négociation, plutôt que de le faire en envoyant un certain nombre d’engins qui le feraient à leur place », a ajouté le ministre, mettant ainsi la balle dans le camp du mouvement anti-aéroport.
Lors d’une conférence de presse, qui s’est tenue elle aussi jeudi matin, la préfète de Loire-Atlantique, Nicole Klein, a livré le même calendrier : « Je me déplacerai personnellement, la semaine prochaine, pour m’assurer que l’on peut circuler librement sur la route départementale occupée. » « Ce ne sera ni coûteux ni compliqué de remettre la route en l’état. On doit pouvoir y rouler tranquillement, à 30 km/h », a ajouté la représentante de l’État, précisant : « Ils devraient dégager la route et s’ils ne le font pas d’eux-mêmes, les gendarmes iront la dégager. » Pour la suite, la préfète Nicole Klein a fait montre d’ouverture : « Le maître-mot, c’est la médiation. »
Jeudi soir, s’est tenue une “assemblée des usages” réunissant l’Acipa, l’association historique des riverains contre l’aéroport, des habitant·e·s de la ZAD, les naturalistes en lutte, les paysans de Copains, la coordination regroupant plusieurs associations. Pour les occupant·e·s, le message central est clair et sans équivoque : « Le projet central, c’est que tous ceux qui souhaitent rester le puissent. » Mais dans sa déclaration mercredi, le premier ministre Édouard Philippe a tenté d’enfoncer des coins dans la solidarité entre les différents acteurs.
« L’État engagera une cession progressive du foncier de Notre-Dame-des-Landes, dès maintenant, les forces de l’ordre sont mobilisées pour que ce processus se déroule dans le respect de la loi et que les squatteurs libèrent progressivement les terres qui ne leur appartiennent pas », a précisé Édouard Philippe, soulignant sa volonté de mettre fin à « une zone de non-droit qui prospère depuis près de dix ans sur cette zone ».
L’évacuation elle-même ne devrait pas intervenir avant le printemps et donc l’expiration de la trêve hivernale sur les expulsions (le 30 mars), a ajouté le premier ministre. D’ici là, la route départementale D281, couverte de quelques cabanes et restes de barricades devra être libérée, comme le réclament depuis plusieurs mois paysan·ne·s et riverain·ne·s.
« Il a été dit par le mouvement qui prendrait ça en charge mais donnez-nous du temps, précise Camille, du groupe presse. Dans ce cadre, une présence policière ne ferait qu’envenimer la situation. La route des barricades a une histoire liée à la résistance » contre les gendarmes de l’opération César qui avaient tenté d’évacuer la ZAD de force avant de renoncer en 2012.
Concernant le devenir du foncier des 1 650 hectares de la zone, « si des gens veulent venir s’installer demain pour des projets classiques sur la zone, c’est possible, mais si des gens viennent pour exercer une nouvelle paysannerie, une gestion collective, il faut que ce soit possible aussi ». « Développer des manières nouvelles de faire les choses, des manières nouvelles d’habiter le bocage, cela fait partie du projet ici. Mais il est complètement prématuré de parler de rachat de terres, de comparer avec ce qui s’est passé au Larzac, ou même de bail emphytéotique ».Ces questions devront trouver leurs réponses dans les prochains jours et les prochaines semaines. En attendant, la ZAD garde son propre agenda : le 1er février, Éric Vuillard, prix Goncourt, est l’invité de la bibliothèque créée par les occupant·e·s. Et le 10 février, tous les soutiens du mouvement sont appelés à venir « enraciner l’avenir ».
La ZAD se cherche un avenir
La construction de l’aéroport écartée, la question de l’avenir de la ZAD est sur toutes les lèvres. À brève échéance, le mouvement d’occupation fait preuve de bonne volonté en libérant la route RD281, dite « route des chicanes ». À plus long terme, les discussions avec l’État ont d’ores et déjà commencé, avec pour objectif de trouver une solution pérenne pour tous les occupants d’ici au 31 mars.
C’est un renversement de situation à peine croyable. Cette fois-ci, la préfecture soutient les habitant·e·s et défenseur·e·s de la ZAD contre le département. Depuis lundi 22 janvier, le mouvement d’occupation a commencé à dégager la route départementale 28, occupée depuis 2012 par des cabanes et des chicanes. Mais le conseil départemental, présidé par Philippe Grosvalet (PS), fervent partisan du défunt aéroport, considérait en début de semaine que les conditions n’étaient pas réunies pour y autoriser la circulation (lire ici son communiqué). Au point que l’État pourrait mettre en demeure la collectivité si elle tardait trop à lever l’interdiction.
L’anecdote en dit long sur le souci d’apaisement de la préfecture de Loire-Atlantique et sur l’accélération de l’histoire du bocage de Notre-Dame-des-Landes. Pour la préfète Nicole Klein : « La priorité, c’est de dégager la route. C’est très important, c’est le respect de la liberté de circulation. » Elle pourrait visiter la route d’ici la fin de la semaine. Pour l’État, c’est un symbole non négociable de retour à l’ordre public. Pour les riveraines, habitant·e·s des villages de La Pâquelais ou de Vigneux-de-Bretagne, c’est un soulagement après cinq ans de tensions. Émaillée de cabanes, restes de barricade et carcasses de voiture, la route ne laissait pas passer les bétaillères et les tracteurs. Certain·e·s considèrent que sa quasi-fermeture physique – en réalité des voitures pouvaient y rouler au pas – a porté préjudice aux petits commerces environnants. C’est en 2012, lors de la tentative d’évacuation de la ZAD par l’opération César, que la D281 a été recouverte d’obstacles, afin de ralentir l’avancée des gendarmes. Pendant des semaines, des checkpoints de gendarmes et des arrêtés d’interdiction de transport de substances avaient été maintenus, entretenant la tension. Le département de Loire-Atlantique avait fini par prendre un arrêté d’interdiction de circulation sur la départementale, striant son bitume d’épaisses encoches pour marquer physiquement son exclusion des axes de circulation.
Au sein des occupant·e·s de la ZAD, le nettoyage de la route provoque des remous. Son occupation symbolisait l’insubordination de la zone et sa conflictualité. Divers incidents s’y sont produits ces dernières semaines, impliquant des personnes se considérant comme des gardiens ou des douaniers de la zone. Sur un plan plus politique, la D281 sépare le reste des collectifs de l’est de la zone, un espace non motorisé, sans électricité, sans eau courante, sans voiture. Y séjournent, souvent pour de brèves périodes de temps, des personnes rétives à l’organisation collective. C’est là que se trouve la très belle grotte creusée à la main dans l’argile par un habitant, qui sert de puits et d’enclos pour se retirer du monde, que les gendarmes et le JDD ont par erreur ou mauvaise intention pris pour un départ de tunnel secret.
Au lendemain de l’annonce de l’abandon de l’aéroport par Édouard Philippe, une assemblée générale des usages a réuni près de 300 personnes sur la ZAD afin de décider du sort de la route. La discussion fut longue et houleuse, selon des participant·e·s. Si bien que vers 23 heures, des représentantes de l’ACIPA, l’association historique des opposants, et de COPAINS, les agriculteurs anti-aéroport, ont annoncé leur décision unilatérale de dégager la départementale. « Certains le voient comme un coup de force mais cela faisait plusieurs réunions que nous parlions du sujet sans avancer », explique Cyril Bouligand, porte-parole de COPAINS. Un compromis a été trouvé : une cabane du nom de Lama fâché pourra rester sur le bitume, au moins à court terme. La préfecture ne s’y est pas opposée pour l’instant.
Une fois réglé le problème de la D281, une course contre la montre va démarrer pour concilier deux visions de l’avenir de la ZAD. Celle du chef du gouvernement, pour qui : « Les occupants illégaux de ces terres devront partir d’eux-mêmes d’ici le printemps prochain ou en seront expulsés », comme il l’a expliqué lors de l’annonce de l’abandon de l’aéroport. « Les terres retrouveront leur vocation agricole », a-t-il ajouté et « l’État engagera une cession progressive du foncier de Notre-Dame-des-Landes ».
Et celle du mouvement contre l’aéroport qui souhaite régulariser un système de gestion collective des terres, appuyé sur une délégation par l’État qui garderait la maîtrise du foncier, comme cela s’est passé au Larzac en 1985. De son côté, la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique pousse pour une réintégration des hectares sauvés du bétonnage au circuit classique.
Les 1 650 hectares de la ZAD appartiennent à l’État qui en a concédé l’usage à Vinci, pour y construire l’aéroport, en 2010. Concrètement, environ 450 hectares y sont cultivés par les familles des paysans résistants qui ont refusé de vendre leurs terres à la multinationale et ont été condamnées à en être expulsées en janvier 2016 (retrouver ici nos articles à ce sujet). 850 hectares, soit près de la moitié de la zone, ont été redistribués par Vinci aux agriculteurs qui, eux, ont cédé leurs terres à l’amiable. Ils ont bénéficié d’une indemnisation financière, d’une compensation en terre en dehors de la zone et de baux précaires qui leur permettent d’utiliser des champs de la ZAD, évitant ainsi qu’ils ne partent en friches, plus difficiles à débroussailler. C’est la raison pour laquelle les opposant·e·s à l’aéroport les considèrent comme des « cumulards ». Mais depuis 2012, le mouvement anti-aéroport a décidé de reprendre une partie de ces terrains en les occupant. Début 2018, environ 270 hectares de la ZAD sont ainsi cultivés collectivement par le mouvement. On y trouve des champs de céréales, du maraîchage, de l’apiculture. Enfin, les 400 hectares restants sont couverts de bois, friches et haies, autant d’espaces dont les habitant·e·s ont pris en charge l’entretien.
Le mouvement d’occupation travaille parmi d’autres options sur le scénario d’un bail emphytéotique, un bail foncier à très longue durée qui permet au preneur de sous-louer des parcelles à des locataires. Le titulaire pourrait en être une entité juridique issue de l’assemblée des usages, qui regroupe les composantes du mouvement : zadistes, ACIPA, COPAINS, élus contre l’aéroport, naturalistes en lutte, et la Coordination qui regroupe une soixantaine d’associations et syndicats. Ils partagent une vision commune : « Les six points pour l’avenir de la ZAD », un texte rédigé en 2013, quelques mois après l’échec de l’évacuation. Il énonce plusieurs principes fondateurs de l’avenir de la zone : que tous les habitant·e·s actuel·le·s de la zone puissent y rester, que les agriculteurs retrouvent leurs droits, les anciens propriétaires et locataires qui ont subi l’expropriation et ont refusé les indemnisations aussi. Que les terres soient prises en charge par une entité issue de la lutte, et qu’elles servent à des installations agricoles ou non, officielles ou hors cadre, mais pas à l’agrandissement des exploitations existantes. Et que les formes d’habitat, de vie et de lutte créées sur ce territoire puissent se poursuivre. Le mouvement souhaite qu’un gel de deux ans soit respecté avant de distribuer les terres.
« Le texte des six points est notre base »
Malgré son ton ferme, la position énoncée par Édouard Philippe aménage en réalité un cadre de discussion : « À l’expiration de la trêve hivernale, l’ensemble des occupants sans titre, présents illégalement sur le terrain, devront avoir quitté les lieux, soit volontairement, soit parce qu’ils auront été expulsés », a-t-il déclaré sur TF1 le 17 octobre.
Jusqu’au 31 mars la question devient ainsi : quels habitants, quelles activités peuvent-elles être régularisées avant l’expiration de la trêve hivernale ? Pour le ministère de la transition écologique, les situations seront étudiées au cas par cas. Une grande majorité d’entre elles devraient être réglées au 31 mars, estime-t-on dans l’entourage de Nicolas Hulot. Des échanges ont lieu en coulisse avec son cabinet mais c’est la préfecture de Loire-Atlantique qui est en première ligne. Un coordinateur doit être nommé pour assurer les discussions avec le mouvement d’occupation.
L’eurodéputé José Bové, ancien du Larzac et toujours membre actif de la société créée en 1985 pour en gérer collectivement les terres (la SCTL) ainsi que le député LREM Matthieu Orphelin, très actifs avant l’annonce d’abandon de l’aéroport, continuent de parler aux un·e·s et aux autres afin d’aboutir à une situation pacifique. L’objectif est que le plus grand nombre de personnes et de collectifs soient régularisés au 31 mars. Cela pourrait passer par un ensemble de critères à définir : assurances en règle pour les lieux de vie, notamment contre le risque incendie. Cotisations sociales à jour, loyers, même modiques, acquittés. Déplacements de cabanes sur des terrains appartenant aux paysans historiques. Va aussi se poser la question du paiement de la taxe foncière et sur les ordures ménagères.
Sur la ZAD, on trouve plusieurs types d’habitat : maisons en dur, cabanes, diverses formes d’autoconstruction. Les habitant·e·s se partagent souvent entre un lieu de couchage individuel et un lieu de vie collectif. La préservation de ces formes de vie va être un fort enjeu, comme l’amélioration des logements les plus inconfortables. La loi ALUR, votée en 2014, introduit la notion de résidence démontable comme forme permanente d’habitat, et pourrait ainsi offrir un cadre général de discussion. Certaines cabanes pourraient être déplacées pour dégager la voie de parcelles agricoles. Un travail de dentellière s’amorce, lieu par lieu, collectif par collectif. Il doit démarrer par une séquence de purge juridique, pour identifier les propriétaires de chaque parcelle occupée.
« Il faut réussir à monter une délégation commune de discussion avec l’État, on ne veut pas y aller séparément, explique Cyril Bouligand, porte-parole de COPAINS, les paysan·ne·s contre l’aéroport. Le texte des six points est notre base mais il est assez large. Il y a plein de sujets à bosser pour convaincre l’État qu’on peut gérer ces terres. Que faire des habitations ? Comment éviter le mitage des terres sans passer par un plan local d’urbanisme ? Quels nouveaux types de projet va-t-on accepter sur la zone ? » Une nouvelle assemblée générale des usages doit se tenir mercredi 24 janvier.
Jeudi soir, au lendemain de l’abandon de l’aéroport, Marcel Thébault, qui exploite la ferme du Liminbout avec son épouse Sylvie, expliquait : « Ici, les gens n’ont pas les mêmes idées, pas les mêmes stratégies mais c’est ensemble qu’on gagne. » La ZAD a-t-elle un avenir ? « C’est un beau défi. Sur les usages communs, les choses peuvent bouger ici. Il y a ici des pistes vitales pour repenser notre monde qui part à vau-l’eau. C’est bien qu’on ait l’exemple du Larzac en tête, ça rend les discussions crédibles. Mais en tant qu’agriculteurs, on ne veut pas imposer une normalisation à tout le monde. Ceux qui ne font pas d’agriculture, ceux qui n’ont pas d’argent doivent pouvoir rester. »
« Une des premières victoires de la lutte historiquement, lorsque le périmètre de la zone d’aménagement a été dessiné en 1974, a été d’obtenir que de jeunes paysans puissent continuer à s’y installer pour éviter que le territoire ne se vide et meure », rappelle Geneviève Coiffard, militante chevronnée contre l’aéroport. Marcel et Sylvie Thébault, exploitants de la ferme du Liminbout, aujourd’hui considérés à juste titre comme des paysans historiques de la ZAD, s’y sont installées juste avant que le projet d’aéroport ne soit relancé par le gouvernement de Lionel Jospin. « Cette idée d’une terre à soigner, d’un territoire qu’il ne fallait pas abandonner a été présente très tôt. »
Pour Novitch, ancien habitant de l’est de la zone, aujourd’hui posé à la Noé verte où il plante avec d’autres un verger : « Ce n’est pas évident d’être victorieux. La ZAD sans l’aéroport et sans la route des chicanes sera-t-elle plus posée, moins vivante ? Ce ne sera plus la même chose sans la pression policière. C’était une zone à défendre. Elle peut devenir une Zone d’Autonomie Définitive. » À ses côtés, un jeune homme récemment arrivé prend soin de deux poneys qui pourraient aider au maraîchage du collectif : « Ce qui est idyllique ici, ce ne sont pas les paysages, c’est l’expérimentation. Dans quel autre endroit au monde tu peux changer plus de mille hectares de terres en squat ? Vivre en habitat léger, dans plein de communes en France, c’est compliqué. Ici, historiquement, le mouvement, le rapport de force, fait que c’est possible. »
À quelques dizaines de mètres, “gibier” – « tout en minuscule », précise-t-il –, déjà rencontré lors de notre reportage panoramique au printemps 2017, répare, avec son frère Max, une structure de hangar récupérée. Autour de lui s’étendent des parcelles de cultures collectives et particulières. Des choux-fleurs, des poireaux, des courges. Il vend des légumes au marché du village et à Nantes. Il a transformé un vélo en pompe pour arroser sa serre. La tempête a déchiré la structure. Il prévoit de la réparer car comme la dizaine d’habitant·e·s rencontrées par Mediapart dans les deux jours suivant l’annonce de l’abandon de l’aéroport, il compte bien rester sur la zone.
Pour Sébastien, membre du groupe vaches de la ZAD, lui aussi interviewé l’année dernière : « Quand tu es paysan dans le cadre classique, tu t’endettes. Hors de question pour moi d’enrichir les banques. Je veux nourrir les gens. Continuer à bosser avec des bêtes qui ne sont pas vraiment à nous. Continuer à m’occuper du bocage. Partager les produits et les connaissances. Je place la solidarité en haut de notre échelle de valeurs. Continuer à faire des trucs ensemble avec les gens qui se sont battus ici depuis des années. » Zadistes paysans et agriculteurs historiques envisagent la construction d’un lieu de transformation du lait produit sur la zone pour en faire du fromage et du beurre. « On n’est pas normalisable. On est dans une forme de sécession ici par rapport à la constitution qui dit que la République est une et indivisible. Est-on ici dans une République à part ? A-t-on le droit dans la nation d’avoir des bulles d’air où ça ne se passe pas comme ailleurs ? Ça me paraît vital pour sortir de l’individualisme et donner plus de sens à ce qu’on fait. Ce que je fais ici, ce n’est pas de l’utopie, c’est de la lucidité. Ce n’est pas un discours, c’est ma vie. L’abandon de l’aéroport est vraiment une victoire sociale et écologique. Mais le combat continue. »
« Dans les luttes, il faut des réponses adaptées »
Ces témoignages indiquent à quel point la bataille pour la ZAD ne se résume pas à un enjeu de préservation des terres agricoles. C’est surtout une lutte pour les communs. On arrache à la propriété privée et à la logique du profit ce qui doit appartenir à tou·te·s et être soigné par le plus grand nombre. L’écosystème prospère quand il est pris en charge collectivement. Cette attitude active et partageuse transforme aussi celui qui en prend soin. C’est une version autonome des communs, au sens politique du terme, et cela en fait une expérience unique en France à cette échelle. Autogérer élevage bovin et maraîchage, production de bois, de semences et de bière, la construction de hangars, ou l’utilisation d’une bibliothèque, change tout. On ne délègue pas, on fait par soi-même. On en est pleinement responsable. C’est une expérience empirique de liberté, de limites assumées, de sortie du capitalisme.
La vie sur la ZAD est souvent dure, pleine de contraintes et de conflits. Mais elle a donné naissance à une véritable commune rurale où se réinventent les rapports entre humains et avec la nature. Une alternative à un système économique défaillant, producteur de chômage et d’inégalités. Et une critique à l’œuvre de la domination patriarcale, du racisme systémique, du pouvoir de l’argent et de la réussite sociale. Cette créativité radicale, qui repense tout par la racine, n’est pas soluble dans l’agriculture certifiée biologique.
« Ceux qui n’ont pas de titre de propriété seront expulsés », a indiqué le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux sur France Inter le 18 janvier.
Mais en Loire-Atlantique, peu de paysans sont propriétaires de leurs parcelles. La plupart travaillent en fermage, en signant des baux avec un propriétaire. Ce système distingue la propriété de l’usage et crée ainsi une plus grande souplesse dans la distribution du foncier, tout en facilitant l’accès des jeunes. « Pour nous, la première chose serait d’obtenir le gel de l’attribution des terres car si elles repartent tout de suite dans le circuit classique via les CDOA [commission départementale d’orientation de l’agriculture], elles serviront à l’agrandissement de fermes existantes, les projets d’installation ne seront pas prêts », explique Cyril Bouligand. Dans le 44, environ 2 000 paysans quittent leur activité chaque année contre 500 installations, selon l’estimation de COPAINS.
La réserve foncière de la ZAD doit être pour eux l’occasion de sortir du schéma classique de gestion des terres pour arrêter cette hémorragie. Certains propriétaires contre l’aéroport ont été expropriés, et ont refusé de toucher l’argent qui a été placé à la Caisse des dépôts. Ils pourraient retrouver leurs terres s’ils le souhaitent. Le sort de ceux qui ont signé à l’amiable avec Vinci semble plus incertain. Les habitant·e·s de la ZAD deviendront-ils des villageois comme les autres ? Cette perspective paraît encore bien lointaine tant la zone est un creuset d’alternatives sans concession. Martelée par une partie des médias et de la classe politique, la distinction entre « gentils » zadistes paysans et « méchants » black blocs ne fait aucun sens.
Tou·te·s partagent un projet commun : vivre sans État, sans police, sans prison. Entre les un·e·s et les autres, les tactiques politiques peuvent être diverses mais portées par les mêmes personnes en fonction de la situation. « Je me réclame à titre personnel de la non-violence car elle est efficace dans la construction d’un rapport de force très large et parce que philosophiquement je pense que la fin est dans les moyens, explique Geneviève Coiffard, 71 ans, pilier du mouvement contre l’aéroport. Dans le monde qu’on veut construire, on ne se tape pas la gueule. Mais l’année dernière, quand la ZAD risquait de se faire évacuer, on ne faisait pas face à un maintien de l’ordre clair mais à une armée impérialiste voulant conquérir et détruire le territoire. Dans ce contexte, les actes de résistance ne sont pas les mêmes que lors d’une manif classique. À ce moment-là, je ne condamnais pas les actes que cela aurait pu entraîner. Dans les luttes, il faut des réponses adaptées. »
La question de la violence pourrait cependant se reposer à partir de la fin mars. L’ultimatum lancé par le premier ministre laisse certes des portes largement ouvertes pour une résolution pacifiée, mais l’exécutif devra aussi compter sur la pression politique et policière.
D’abord, les gendarmes ont fort mal vécu l’interruption brutale de l’opération César, en 2012, à la demande du premier ministre Jean-Marc Ayrault. Les gendarmes sur place et les gradés étaient persuadés de pouvoir mener à son terme l’évacuation de la ZAD. Alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls raconte encore aujourd’hui avec amertume comment lui-même a découvert l’interruption de l’opération, par l’intermédiaire de son chef de cabinet. Toutes les déclarations plus va-t-en-guerre les unes que les autres ces trois derniers mois dans les médias montrent un désir de « match retour » de la part des forces de l’ordre.
Une évacuation suivie de la construction de l’aéroport était très compliquée à planifier du fait de plusieurs contraintes, notamment celles imposées par les cinq espèces protégées, dont les tritons, que l’on trouve sur NDDL. Chacune de ces espèces ne pouvant pas être déplacée à certaines périodes de l’année… Avec l’abandon du projet de l’aéroport, l’intervention est désormais possible n’importe quand. Avec une dernière contrainte : NDDL étant un bocage, le beau temps est préférable à une opération de maintien de l’ordre de grande envergure, ce qui peut expliquer que le gouvernement privilégie le printemps. Autre contrainte : certaines expulsions nécessiteraient une décision de justice, a rappelé lundi Françoise Verchère, ancienne maire de Bouguenais – la ville proche de l’actuel aéroport – et porte-parole des élus du Cédpa.
Les zadistes auraient des sources au sein de la préfecture du 44. « Ils sauront la date de l’expulsion », est persuadée une source au ministère de l’intérieur. Selon un membre des services de renseignements, « toute la question va être de savoir comment va réagir le mouvement, lui-même tiraillé par différentes tendances. Jusqu’ici, les zadistes ont toujours su taire leurs divergences internes et fonctionner en bloc. Là, ça sera l’instant de vérité. S’ils restent unis, ils peuvent nous entraîner dans un conflit total. Eux aussi sont à la croisée des chemins. Ça peut être douloureux pour tout le monde. »
« Il faut arrêter de dire que ce sera le Vietnam ! Il n’y a pas de kalachnikovs à NDDL. Une kalachnikov, on sait ce que cela fait. Cela fait Charlie Hebdo, cela fait le Bataclan. Ici, il y a des cartouches de chasse qui explosent sur les barricades, des pièges avec des clous de charpentier. C’est ennuyeux, c’est dangereux pour nos forces de l’ordre. Mais il ne faut pas fantasmer : les zadistes n’ont pas d’armes de guerre. Sur la ZAD, les engins explosifs se sont toujours révélés factices », tempère un autre officier du renseignement. Lequel précise : « Des zadistes très violents, il y en a mais c’est vraiment un petit noyau. On les connaît. Ils seront rejoints tous les week-ends par des gens venus pour casser du policier. Pour le reste, la communauté des zadistes est très disparate. Par exemple, à l’est de la ZAD, il y a les primitivistes, radicaux dans leur idéologie mais pas forcément violents. »
D’autant que le pouvoir table visiblement sur un départ volontaire des zadistes les plus radicaux vers d’autres territoires en lutte. Bure (Meuse), où devrait être construit un complexe d’enfouissement des déchets nucléaires, est régulièrement cité. Dès lors que la plupart des zadistes seraient de fait légalisés au printemps, le pouvoir pourrait privilégier les opérations plus ciblées s’il restait des individus considérés comme hostiles. La stratégie du traitement différencié se fera à partir des notes blanches des services de renseignement. Le week-end dernier, des occupant·e·s ont déjà dû faire face à des contrôles routiers relativement ciblés : arrêt de certains véhicules, fouille consciencieuse et longue vérification de l’identité. Des personnes disent avoir été contrôlées plusieurs fois dans la même journée de vendredi dernier. Un homme s’est fait saisir un couteau et du cannabis. La préfecture a en outre pris plusieurs arrêtés d’interdiction de transport de substances dangereuses.
Le rassemblement du 10 février, au lendemain de l’expiration de la déclaration d’utilité publique du défunt aéroport, s’intitule « Enracinons l’avenir ». Il aura sans doute valeur de test pour le gouvernement. Maintenant que l’aérogare est abandonnée, il donnera une indication du niveau de soutien du reste de la société à la ZAD.
Près de trois Français sur quatre d’accord pour la fin de NDDL
17 janvier 2018 Par Agence Reuters
Bretagne : un projet de parc d’attraction suscite l’inquiétude
Côté italien, le débat sur le «TAV» s’est émoussé
Plutôt absente de la campagne électorale, la question de la ligne Lyon-Turin pourrait resurgir de plus belle après le vote du 4 mars. Surtout en cas de victoire du Mouvement 5 étoiles, dont le chef de file a dit vouloir bloquer le projet.
C’est un peu Notre-Dame-des-Landes en version transalpine. Le chantier le plus controversé du pays. En Italie, la question de la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin (appelée TAV, Treno Alta Velocita) a longtemps été au centre des débats. Voilà une vingtaine d’années que les habitants du val de Suse protestent contre ce projet et, depuis cette région du Piémont, le conflit s’est déplacé vers les hautes sphères de la politique, où les positions divergent.
Historiquement, les partis de droite et le Parti démocrate (PD) sont favorables à la TAV, alors que la gauche plus critique y est opposée. Mais l’opposition à la construction de la ligne Lyon-Turin a surtout été un cheval de bataille du Mouvement 5 étoiles. Depuis toujours opposé au projet, le M5S voit dans la TAV le symbole même de ces « grands travaux inutiles » qui coûtent cher et n’apportent rien au pays. Beppe Grillo lui-même s’est rendu plusieurs fois dans le val de Suse d’où, en 2011, il avait harangué les manifestants NO TAV avec des déclarations au vitriol : « Ici, l’État est en train de tester la dictature… ce que nous sommes en train de faire, c’est une guerre civile. »
Depuis les élections législatives de 2013, l’attention médiatique autour de la construction de la ligne Lyon-Turin est progressivement retombée. La question est absente de la campagne électorale. Mais tel un vieux serpent de mer, elle devrait bientôt resurgir. Si la coalition de droite (formée par Forza Italia, la Ligue du Nord et Fratelli d’Italia) remportait le scrutin du 4 mars, nul doute que le projet continuerait. Durant ses deux mandats de président du Conseil (de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011), Silvio Berlusconi a poursuivi le projet de la TAV.
Pour ce faire, il a toujours été appuyé par ses alliés de la Ligue du Nord et ce, même si des politiques du parti fédéraliste ont parfois émis des réserves sur la TAV. C’est le cas de l’actuel leader de la Ligue du Nord, Matteo Salvini lui-même, qui déclarait en 2015 que, s’il était au gouvernement, « il y aurait un référendum car il revient toujours aux citoyens de décider ». Une affirmation qu’il faut remettre dans son contexte, puisque Salvini avait fait ces déclarations alors qu’il se trouvait au Piémont, à une époque où l’alliance avec Berlusconi n’était pas encore scellée.
Dans l’éventualité d’un gouvernement mené par le Parti démocrate, là aussi, le projet de la TAV devrait se poursuivre. En 2013, Matteo Renzi écrivait dans son livre Oltre la rottamazione (Au-delà du renouvellement) que « la TAV risqu[ait] d’être un investissement hors d’échelle et hors du temps » et parlait « d’ouvrage inutile ». Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts puisque sous son mandat, le projet a bel et bien continué. Le programme du PD pour ces élections ne cite pas directement ce dossier mais, en l’état actuel des choses, rien n’indique que les démocrates pourraient changer d’opinion sur la question.
Pour les opposants au projet, l’espoir réside donc surtout dans un éventuel exécutif 5 étoiles ; afin de balayer tous les doutes, le 10 septembre dernier, Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement, déclarait que « si nous gouvernons, nous bloquerons la TAV ». Mais si à première vue la ligne du M5S semble claire, force est de constater que le programme du Mouvement version 2018 ne mentionne pas l’arrêt de la TAV. On y parle « de mettre un terme à la période des grands travaux inutiles », mais sans citer explicitement la ligne Lyon-Turin. Un détail peut-être, mais le programme du 5 étoiles en 2013 stipulait lui, noir sur blanc, la volonté d’« arrêter immédiatement la TAV dans le val de Suse ».
Malgré cet “oubli”, difficile de croire que le Mouvement 5 étoiles n’arrêterait pas la construction de la ligne Lyon-Turin en cas de victoire aux élections. En ce sens, la nouvelle candidature au siège de sénateur, dans les listes du M5S piémontais, du militant NO TAV Marco Scibona représente un message clair. En réalité, le vrai problème pour Di Maio consistera à trouver une majorité parlementaire pour arrêter le projet. Les voix du M5S ne suffiront sûrement pas ; mais alors, vers qui se tourner ?
Il faudra nécessairement regarder à gauche du PD, mais la liste Libres et égaux ne semble pas faire de l’arrêt de la TAV une priorité, puisque celle-ci n’est jamais citée directement dans son programme, même si l’on y déclare que les investissements publics doivent être « diamétralement opposés à la logique des grands travaux ».
Finalement, le seul mouvement qui se présente aux élections en citant explicitement la ligne Lyon-Turin dans son programme est Potere al Popolo (« le pouvoir au peuple »). Ici, il est écrit noir sur blanc qu’il faut aller vers « un arrêt des grands travaux, en commençant par la TAV en val de Suse ». Par ailleurs, le mouvement présente, dans la circonscription du Piémont, la candidate Nicoletta Dosio, une militante NO TAV de longue date. Néanmoins, si l’on se fie aux sondages, Potere al Popolo a peu de chances de faire élire des représentants au Parlement lors des prochaines élections. Après le 4 mars, le Mouvement 5 étoiles risque donc de se retrouver sans alliés dans sa bataille contre la ligne Lyon-Turin. Une situation qui ne fera pas peur au Mouvement, lequel a jusqu’ici construit son succès grâce à ses batailles menées en solitaire.