Côté italien, le débat sur le «TAV» s’est émoussé

7 février 2018 Par BENIAMINO MORANTE

Plutôt absente de la campagne électorale, la question de la ligne Lyon-Turin pourrait resurgir de plus belle après le vote du 4 mars. Surtout en cas de victoire du Mouvement 5 étoiles, dont le chef de file a dit vouloir bloquer le projet.

C’est un peu Notre-Dame-des-Landes en version transalpine. Le chantier le plus controversé du pays. En Italie, la question de la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin (appelée TAV, Treno Alta Velocita) a longtemps été au centre des débats. Voilà une vingtaine d’années que les habitants du val de Suse protestent contre ce projet et, depuis cette région du Piémont, le conflit s’est déplacé vers les hautes sphères de la politique, où les positions divergent.

Historiquement, les partis de droite et le Parti démocrate (PD) sont favorables à la TAV, alors que la gauche plus critique y est opposée. Mais l’opposition à la construction de la ligne Lyon-Turin a surtout été un cheval de bataille du Mouvement 5 étoiles. Depuis toujours opposé au projet, le M5S voit dans la TAV le symbole même de ces « grands travaux inutiles » qui coûtent cher et n’apportent rien au pays. Beppe Grillo lui-même s’est rendu plusieurs fois dans le val de Suse d’où, en 2011, il avait harangué les manifestants NO TAV avec des déclarations au vitriol : « Ici, l’État est en train de tester la dictature… ce que nous sommes en train de faire, c’est une guerre civile. »

Depuis les élections législatives de 2013, l’attention médiatique autour de la construction de la ligne Lyon-Turin est progressivement retombée. La question est absente de la campagne électorale. Mais tel un vieux serpent de mer, elle devrait bientôt resurgir. Si la coalition de droite (formée par Forza Italia, la Ligue du Nord et Fratelli d’Italia) remportait le scrutin du 4 mars, nul doute que le projet continuerait. Durant ses deux mandats de président du Conseil (de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011), Silvio Berlusconi a poursuivi le projet de la TAV.

Pour ce faire, il a toujours été appuyé par ses alliés de la Ligue du Nord et ce, même si des politiques du parti fédéraliste ont parfois émis des réserves sur la TAV. C’est le cas de l’actuel leader de la Ligue du Nord, Matteo Salvini lui-même, qui déclarait en 2015 que, s’il était au gouvernement, « il y aurait un référendum car il revient toujours aux citoyens de décider ». Une affirmation qu’il faut remettre dans son contexte, puisque Salvini avait fait ces déclarations alors qu’il se trouvait au Piémont, à une époque où l’alliance avec Berlusconi n’était pas encore scellée.

Dans l’éventualité d’un gouvernement mené par le Parti démocrate, là aussi, le projet de la TAV devrait se poursuivre. En 2013, Matteo Renzi écrivait dans son livre Oltre la rottamazione (Au-delà du renouvellement) que « la TAV risqu[ait] d’être un investissement hors d’échelle et hors du temps » et parlait « d’ouvrage inutile ». Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts puisque sous son mandat, le projet a bel et bien continué. Le programme du PD pour ces élections ne cite pas directement ce dossier mais, en l’état actuel des choses, rien n’indique que les démocrates pourraient changer d’opinion sur la question.

Pour les opposants au projet, l’espoir réside donc surtout dans un éventuel exécutif 5 étoiles ; afin de balayer tous les doutes, le 10 septembre dernier, Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement, déclarait que « si nous gouvernons, nous bloquerons la TAV ». Mais si à première vue la ligne du M5S semble claire, force est de constater que le programme du Mouvement version 2018 ne mentionne pas l’arrêt de la TAV. On y parle « de mettre un terme à la période des grands travaux inutiles », mais sans citer explicitement la ligne Lyon-Turin. Un détail peut-être, mais le programme du 5 étoiles en 2013 stipulait lui, noir sur blanc, la volonté d’« arrêter immédiatement la TAV dans le val de Suse ».

Malgré cet “oubli”, difficile de croire que le Mouvement 5 étoiles n’arrêterait pas la construction de la ligne Lyon-Turin en cas de victoire aux élections. En ce sens, la nouvelle candidature au siège de sénateur, dans les listes du M5S piémontais, du militant NO TAV Marco Scibona représente un message clair. En réalité, le vrai problème pour Di Maio consistera à trouver une majorité parlementaire pour arrêter le projet. Les voix du M5S ne suffiront sûrement pas ; mais alors, vers qui se tourner ?

Il faudra nécessairement regarder à gauche du PD, mais la liste Libres et égaux ne semble pas faire de l’arrêt de la TAV une priorité, puisque celle-ci n’est jamais citée directement dans son programme, même si l’on y déclare que les investissements publics doivent être « diamétralement opposés à la logique des grands travaux ».

Finalement, le seul mouvement qui se présente aux élections en citant explicitement la ligne Lyon-Turin dans son programme est Potere al Popolo (« le pouvoir au peuple »). Ici, il est écrit noir sur blanc qu’il faut aller vers « un arrêt des grands travaux, en commençant par la TAV en val de Suse ». Par ailleurs, le mouvement présente, dans la circonscription du Piémont, la candidate Nicoletta Dosio, une militante NO TAV de longue date. Néanmoins, si l’on se fie aux sondages, Potere al Popolo a peu de chances de faire élire des représentants au Parlement lors des prochaines élections. Après le 4 mars, le Mouvement 5 étoiles risque donc de se retrouver sans alliés dans sa bataille contre la ligne Lyon-Turin. Une situation qui ne fera pas peur au Mouvement, lequel a jusqu’ici construit son succès grâce à ses batailles menées en solitaire.

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