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La main tendue et le coup de pied au cul


La main tendue et le coup de pied au cul

Commentaire sur les récentes prises de position de Julien Durand et Françoise Verchère

paru dans lundimatin#144, le 1er mai 2018

Pour éviter toute confusion sur ce que je vais dire je crois que je dois d’abord me situer. Au printemps 1990, habitant Vigneux de Bretagne depuis deux ans, j’ai rédigé avec deux autres personnes le premier tract d’opposition (après ceux des années 60-70) contre le réveil du projet d’aéroport : « Que sera notre région prochainement ? Une banlieue industrielle sans âme » qui était une réponse à un article du « Petit journal » de la municipalité vignolaise annonçant ce projet comme un bienfait.

J’ai continué à manifester cette opposition au sein de l’association « Bien vivre à Vigneux », y rédigeant un tract de 4 pages intitulé « Vigilance » avertissant sur les dégâts que ferait un aéroport, et contribuant à l’organisation des premières manifestations d’opposition. J’ai, avec quelques autres, constitué un « Collectif contre l’aéroport » qui a eu une brève existence car il s’est fondu dans l’Acipa, fondée en novembre 2000 par 9 personnes dont j’étais (ma carte d’adhérent à l’Acipa porte le numéro 4). J’ai ensuite été membre du conseil d’administration de l’Acipa et son porte parole de 2004 à 2006. Ayant démissionné de ce rôle en juillet 2006 pour des raisons personnelles qui m’éloignaient de Vigneux, mais restant dans la région, je n’ai jamais cessé par la suite de participer au mouvement d’opposition, à ses manifestations, débats, confrontations, et j’ai gobé de bonnes doses de lacrymogènes par les bons soins de César 1 et 2. J’étais encore sur la Zad dimanche dernier.

Ceci n’étant pas dit pour me flatter mais pour montrer que j’ai quelque légitimité à dire ce que je pense de ce qui s’est joué ces derniers jours.

Etant dès le départ, y compris dans l’Acipa où je ne m’en suis pas caché, contre l’aéroport et son monde, je me suis réjoui de voir l’opposition à ce projet grossir et évoluer d’un maigre « Nimby » (Not in my backyard = Pas dans ma cour) à une contestation plus large prenant en compte des problèmes écologiques, économiques et sociologiques indéniablement liés à ce grand projet inutile et imposé.

Je me suis réjoui encore plus de voir des gens venir s’installer sur la Zad dans une dynamique impressionnante et me suis carrément émerveillé de voir leurs constructions imaginatives, leurs jardins, leurs charpentes, leurs ateliers, leurs pains, leur bibliothèque, etc. Et surtout leur immense énergie créatrice et résistante.

J’ai aussi beaucoup aimé le fait que la rencontre de ces gens avec des opposants historiques, des paysans et toutes sortes d’habitants des environs et de plus loin, crée un mouvement original dans lequel les divergences et désaccords pouvaient s’exprimer et s’engueuler mais qui savait tout de même fabriquer un consensus pouvant faire fortement front contre les bétonneurs et leurs majordomes d’Etat. Un mouvement qui savait concilier différentes tactiques pour être le plus efficace possible et où la résistance à la violence d’état n’était pas diabolisée même si elle empêchait les purs pacifistes de se coucher, et surtout si elle les protégeait du massacre.

Il est vrai de dire et bon de rappeler que sans cette solide résistance l’aéroport serait construit aujourd’hui car l’opposition légaliste (sur laquelle l’Etat et « Bruxelles » n’ont cessé de cracher) et non-violente aurait été rapidement écrasée.

J’ai longtemps eu de l’estime pour Julien Durand et Françoise Verchère. J’ai apprécié leur engagement tenace contre le projet d’aéroport et admiré leur capacité à démolir les arguments ennemis. Mais leurs prises de position de ces derniers jours me les rendent méprisables.

On a le droit d’être fatigué et de quitter une activité trop usante. Nul ne peut en tenir rigueur à ceux qui le font. La lutte a été longue et souvent difficile. Mais lâcher ceux que l’on a appelés à l’aide hier, auxquels on doit en assez grande part l’abandon du projet d’aéroport, c’est tristement dégueulasse.

Et les arguments étalés pour le faire sont d’une bassesse écœurante. Ils ont beau être déguisés en volonté d’arrêter le massacre (qui est bien réel) et de sauver l’essentiel, ils sont une négation de l’esprit même de la Zad, et des engagements pris pour défendre le collectif, les « communs » pourtant si bien énoncés dans nombre de proclamations.

L’excuse principale : si on ne cède pas l’Etat va tout raser. Hier pourtant on affirmait une opposition résolue face à la même menace. On était moins pressé de baisser culotte à la préfecture. Il est vrai que depuis on sait que l’aéroport ne se fera pas. On a gagné. On a une maison, une ferme, pas une cabane et un jardin expulsables. On peut s’y retirer peinard. Peut être même, Julien, faire une petite carrière à la Bové. On ne va pas se laisser emmerder par ces jusqu’auboutistes.

Alors on leur demande d’être raisonnables, c’est-à-dire d’accepter les conditions dictées par l’Etat. On ne pourra pas avoir plus. C’est ce que disaient hier les résignés à la venue d’un aéroport. S’y opposer ? Pas raisonnable. Intéressant comment la notion de « raison » évolue en fonction de la situation.

Pourtant il est clair que si la volonté de maitrise de l’avenir de la Zad par son propre collectif est battue en brèche c’est, demain, chacun qui sera rejeté dans une individualité fragile et le retour à la « normale », c’est-à-dire au règne de tous les prédateurs que la Zad a su repousser, qui s’imposera. Insidieusement d’abord, bien sûr, mais sûrement, avec toujours le gendarme pas loin, qui pourra mieux faire son boulot face à une résistance émiettée.

Cela, Julien, Françoise, vous ne l’ignorez pas, mais vous préférez médire contre ceux qui vous reprochent votre lâchage. Dénoncer une prétendue omerta que vous prétendez rompre. Vous pour lesquels les micros ont toutes les bienveillances, qu’ils montrent bien moins à vos contradicteurs. On a vu d’autres démagogues, y compris les pires, pratiquer l’exercice. On n’attendait pas ça de vous. C’est cette fable de la « terrorisation » des zadistes « constructifs », tellement dans l’air du temps, qui rend votre volte-face sordide. Attribuer aux Zadistes « radicaux » la responsabilité des affrontements avec les gendarmes c’est reprocher au mouton d’avoir cherché la bagarre avec le loup. Tout ça sent très mauvais.

Loin de moi l’idée de vouloir pousser les Zadistes à un affrontement inconsidéré. Je comprends bien que chacun essaie de concilier ses opinions, ses engagements, avec la sauvegarde de ce qu’il a construit. Et je conçois bien aussi que peu d’entre eux se leurrent sur le fait de pouvoir bâtir un Chiapas à Notre Dame des Landes. Je veux juste faire remarquer que ce mouvement est fort encore, quoiqu’on en dise, et même renforcé par tous ceux que l’agression a réveillés en France et dans le monde. Et que l’encourager à suivre des stratégies défaitistes ne lui rend pas service. La libération de la route des chicanes l’a montré : Quand on baisse son froc pour montrer à l’ennemi qu’on est de bonne volonté, tout ce qu’il voit c’est qu’on sera plus facile à violer. Sans doute, cela choque ceux qui prennent l’Etat pour un « partenaire », ceux qui se croient « citoyens » pouvant discuter d’égal à égal avec lui. Ils n’ont pas fini de se désoler de son arrogance et de son cynisme.

Julien, Françoise : Quitter le convoi quand les indiens attaquent ce n’est pas bien beau. Prêter la main à ce qui affaiblit ses défenses, ce l’est encore moins. Mais il se défendra quand même. Le grand esprit de la Zad veille sur lui. S’il est vaincu ici, il renaîtra ailleurs. Il essaime déjà largement. Il est guidé par le désir de sortir du chaos capitaliste, le désir d’un monde meilleur. Quelques trahisons ne le tueront pas.

Je ne déchire pas ma carte de l’Acipa, bien que je ne veuille plus en être membre. Elle reste pour moi la trace d’un temps où l’on y chantait de plus belles chansons. J’espère d’ailleurs que tous les membres de l’Acipa ne pensent pas comme leur porte-parole inamovible, celui que Ouest-France gratifie du titre de « leader » d’un mouvement qui affirme n’en pas vouloir ; que tous les membres du Cédépa ne sont pas aussi fatigués que leur égérie. Je reste fidèle à la lutte de la Zad et à cette volonté : Des Zad partout.

Gérard Lambert
20 avril 2018

La trêve sans répit

« Au moment même de l’annonce du gouvernement ce matin – jeudi 26 avril – d’une « trêve » des opérations d’expulsion sur la Zad, la présence policière, les grenades et lacrymo continuent d’y déferler. Nous tentons quelques éléments d’analyse de la situation.

Vendredi 20 avril, la délégation du mouvement issue de l’Assemblée des Usages s’est une nouvelle fois rendue en préfecture, après le refus catégorique de la préfète Nicole Klein et du ministre de l’écologie Nicolas Hulot de bouger d’un millimètre de leur position très frontale. Rappelons qu’ils refusaient en bloc les trois conditions de la délégation pour reprendre le dialogue, à savoir: retirer le dispositif militaire de la Zad, repousser la date butoire du 23 avril
pour les signatures de Convention d’Occupation Précaires individuelles, et bien sûr la proposition de la délégation d’une COP collective qui prendrait en charge la totalité des terres déjà
utilisées par le mouvement.
Jeudi soir, donc, face à ce nouveau refus catégorique par l’État de toute forme lisible de prise en charge collective des terres, l’Assemblée des Usages, via la délégation, a décidé de changer de
stratégie et de faire éprouver en préfecture le montage foncier qu’elle avait préparé en cas de trop grande inflexibilité de la préfète durant les négociations.
Ce montage, présenté à Nicole Klein et à la Direction Départementale des Territoires et de la Mer 44, est fait d’une quarantaine de projets « individuels » imbriqués entre eux, de façon à faire apparaître leur interdépendance tout en s’assurant, encore une fois, que la préfecture
ne puisse opérer aucun tri entre les occupants. Le dépôt de ces dossiers a été très nettement accompagné par un avertissement du mouvement : celui de réagir collectivement et fermement à toute tentative de sélection des « bons projets » au détriment de ceux qui ne seraient pas acceptables. Rappelons que la préfecture entend effectuer ce tri sur la base notamment du potentiel économique de chaque projet.
Quarante projets déposés, ça ne semble pas couvrir tout le monde sur la Zad, puisqu’elle compte davantage de lieux de vies et encore plus de personnes y vivant au quotidien. Mais la délégation explique aussi que ces projets regroupent nécessairement les amis qui y collaborent
et les familles des personnes déclarées. Ceux-ci couvrent donc tous ceux qui vivent de manière permanente à la Zad et qui ont fait le choix de tenter cette option, soit la quasi-totalité des lieux.
Ce geste de l’Assemblée des Usages peut poser question, puisque sa détermination première à faire accepter une prise en charge collective des terres semble avoir été entamée par deux semaines de présence militaire et de destruction de nombreux lieux de vie. Certaines
personnes refusent d’ailleurs de déposer un projet.
Mais nous ne devons pas nous y tromper. Les mobilisations qui ont suivi les premières foulées des gendarmes sur la zone ont démontré la puissance encore bien vivace du mouvement de soutien à la Zad, même trois mois après l’abandon du projet de construction du dit aéroport.
Que ce soit par le biais de grandes manifestations sur la Zad et ses alentours, de petites actions de blocage, de sabotage, par l’afflux chaque jour plus important de soutiens dans le bocage pour y résister à l’avancée des blindés de la gendarmerie, le mouvement a récolté les
fruits de ses années de luttes victorieuses, passées à battre en brèche les politiques offensives des gouvernements successifs, et à ne rien lâcher.
La décision, aujourd’hui, de déposer ce maillage de différents projets agricoles, artisanaux ou culturels, fait réponse à l’obstination du gouvernement, déterminé à dégoupiller plusieurs milliers de grenades chaque jours pour nous faire accepter sa politique ultra-libérale
jusqu’en rase campagne.

Mais l’important ne se situe ni dans la satisfaction de la préfète d’avoir imposé ses bases de négociation (au grand dam des partisans gouvernementaux de la manière forte), ni dans les formes juridiques que peut emprunter la pérennisation des activités sur la zone.
L’important, c’est tout d’abord que ce choix permet au mouvement de s’octroyer un sursis : Édouard Philippe a annoncé ce jeudi 26 avril un gel des évacuations jusqu’à la réunion du comité de pilotage sur l’avenir agricole de la Zad, le 14 mai.
Et surtout, que la Zad puisse effectivement rester un appui et un imaginaire de taille pour les luttes territoriales en cours et à venir, pour les luttes sociales de Nantes, Rennes, St Nazaire où
ailleurs. Un appui toujours matériel, et désormais historique, par la victoire sur l’aéroport et par la démonstration en acte qu’il est possible de s’organiser en marge de l’emprise de l’économie et du
gouvernement. Mais le semblant d’ouverture manifesté par la préfecture pourrait
n’être qu’une façon de temporiser, avant de recaler une partie des projets et de lancer une nouvelle tentative d’expulsion, fidèle à la politique de « fermeté » tenue par le gouvernement et touchant tant d’autres luttes : cheminots, personnel de l’éducation et de la santé, étudiants dégagés de Tolbiac ou empêchés de manifester à Rennes, migrants tentant de franchir le col
de l’échelle près de Briançon désormais militarisé.
À Rennes, les blocages du mardi 24 avril, coordonnés avec les autres secteurs en lutte, sont une bonne façon de continuer à maintenir une pression sur le gouvernement, qui est nécessaire pour ce qui nous attend.
Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont loin d’avoir réussi à réduire la Zad à un bout de bocage sans histoire.
Et toute personne qui cerne un tant soit peu ce qui se passe sur la Zad sait très bien que la « trêve » des expulsions n’endormira personne, et en dernier lieu celles et ceux qui sont déterminées à y vivre et à la défendre. Elle nous servira au contraire à affiner notre
organisation et nos stratégies, à travailler à une synergie avec les autres luttes du moment.

Nous, comité Zad de Rennes, appelons à s’opposer aux expulsions à venir, annoncées à partir du 14 mai. Nous appelons les comités à venir aider à la résistance, en constituant des cantines ou en épaulant celles présentes, en aidant à l’organisation des points d’accueil,
campings, points infos, point médics…
En 2012, les relais des comités à la Chat-teigne avaient contribué à prévenir une nouvelle offensive du gouvernement et à tisser des liens entre la Zad et de nombreuses autres luttes. En 2018, la solidarité peut à nouveau faire échouer l’opération de destruction en cours.

Le comité Zad Rennes a pris part dans l’installation d’un campement à
Bellevue. Tous les groupes ou personnes qui souhaiteront venir défendre la Zad y
sont les bienvenus. »

comitézadrennes (27 avril 2018)

SOLIDARITÉ AVEC LA ZAD, par Raoul Vaneigem

Ce qui se passe à Notre Dame des Landes illustre un conflit qui concerne le monde entier. Il met aux prises, d’une part, les puisssances financières résolues à transformer en marchandise les ressources du vivant et de la nature et, d’autre part, la volonté de vivre qui anime des millions d’êtres dont l’existence est précarisée de plus en plus par le totalitarisme du profit. Là où l’Etat et les multinationales qui le commanditent avaient juré d’imposer leurs nuisances, au mépris des populations et de leur environnement, ils se sont heurtés à une résistance dont l’obstination, dans le cas de ND des Landes, a fait plier le pouvoir. La résistance n’a pas seulement démontré que l’État, « le plus froid des monstres froids », n’était pas invincible – comme le croit, en sa raideur de cadavre, le technocrate qui le représente – elle a fait apparaître qu’une vie nouvelle était possible, à l’encontre de tant d’existences étriquées par l’aliénation du travail et les calculs de rentabilité. Une société expérimentant les richesses de la solidarité, de l’imagination, de la créativité, de l’agriculure renaturée, une société en voie d’autosuffisance, qui a bâti boulangerie, brasserie, centre de maraîchage, bergerie, fromagerie. Qui a bâti surtout la joie de prendre en assemblées autogérées des décisions propres à améliorer le sort de chacun. C’est une expérience, c’est un tâtonnement, aves des erreurs et ses corrections. C’est un lieu de vie. Que reste-t-il de sentiment humain chez ceux qui envoient flics et buldozer pour le détruire, pour l’écraser ? Quelle menace la Terre libre de ND des Landes fait-elle planer sur l’État ? Aucune si ce n’est pour quelques rouages politiques que fait tourner la roue des gtandes fortunes. La vraie menace est celle qu’une société véritablement humaine fait peser sur la société dominante, éminamment dominée par la dictature de l’argent, par la cupidité, le culte de la marchandise et la servitude volontaire. C’est un pari sur le monde qui se joue à ND des Landes. Ou la tristesse hargneuse des résignés et de leurs maîtres, aussi piteux, l’emportera par inertie ; ou le souffle toujours renaissant de nos aspirations humaine balaiera la barbarie. Quelle que soit l’issue, nous savons que le parti pris de la vie renaît toujours de ses cendres. La conscience humaine s’ensommeille mais ne s’endort jamais. Nous sommes résolus de tout recommencer.