La ZAD se cherche un avenir

La construction de l’aéroport écartée, la question de l’avenir de la ZAD est sur toutes les lèvres. À brève échéance, le mouvement d’occupation fait preuve de bonne volonté en libérant la route RD281, dite « route des chicanes ». À plus long terme, les discussions avec l’État ont d’ores et déjà commencé, avec pour objectif de trouver une solution pérenne pour tous les occupants d’ici au 31 mars.

C’est un renversement de situation à peine croyable. Cette fois-ci, la préfecture soutient les habitant·e·s et défenseur·e·s de la ZAD contre le département. Depuis lundi 22 janvier, le mouvement d’occupation a commencé à dégager la route départementale 28, occupée depuis 2012 par des cabanes et des chicanes. Mais le conseil départemental, présidé par Philippe Grosvalet (PS), fervent partisan du défunt aéroport, considérait en début de semaine que les conditions n’étaient pas réunies pour y autoriser la circulation (lire ici son communiqué). Au point que l’État pourrait mettre en demeure la collectivité si elle tardait trop à lever l’interdiction.

L’anecdote en dit long sur le souci d’apaisement de la préfecture de Loire-Atlantique et sur l’accélération de l’histoire du bocage de Notre-Dame-des-Landes. Pour la préfète Nicole Klein : « La priorité, c’est de dégager la route. C’est très important, c’est le respect de la liberté de circulation. » Elle pourrait visiter la route d’ici la fin de la semaine. Pour l’État, c’est un symbole non négociable de retour à l’ordre public. Pour les riveraines, habitant·e·s des villages de La Pâquelais ou de Vigneux-de-Bretagne, c’est un soulagement après cinq ans de tensions. Émaillée de cabanes, restes de barricade et carcasses de voiture, la route ne laissait pas passer les bétaillères et les tracteurs. Certain·e·s considèrent que sa quasi-fermeture physique – en réalité des voitures pouvaient y rouler au pas – a porté préjudice aux petits commerces environnants. C’est en 2012, lors de la tentative d’évacuation de la ZAD par l’opération César, que la D281 a été recouverte d’obstacles, afin de ralentir l’avancée des gendarmes. Pendant des semaines, des checkpoints de gendarmes et des arrêtés d’interdiction de transport de substances avaient été maintenus, entretenant la tension. Le département de Loire-Atlantique avait fini par prendre un arrêté d’interdiction de circulation sur la départementale, striant son bitume d’épaisses encoches pour marquer physiquement son exclusion des axes de circulation.

Sur la D281, le département a strié la route de zébras pour signifier qu'elle n'était pas praticable. © Yann Levy / Hans Lucas Sur la D281, le département a strié la route de zébras pour signifier qu’elle n’était pas praticable. © Yann Levy / Hans Lucas

Au sein des occupant·e·s de la ZAD, le nettoyage de la route provoque des remous. Son occupation symbolisait l’insubordination de la zone et sa conflictualité. Divers incidents s’y sont produits ces dernières semaines, impliquant des personnes se considérant comme des gardiens ou des douaniers de la zone. Sur un plan plus politique, la D281 sépare le reste des collectifs de l’est de la zone, un espace non motorisé, sans électricité, sans eau courante, sans voiture. Y séjournent, souvent pour de brèves périodes de temps, des personnes rétives à l’organisation collective. C’est là que se trouve la très belle grotte creusée à la main dans l’argile par un habitant, qui sert de puits et d’enclos pour se retirer du monde, que les gendarmes et le JDD ont par erreur ou mauvaise intention pris pour un départ de tunnel secret.

Le dôme construit pendant la consultation de juin 2016, et au second plan le marché libre qui se tient deux fois par semaine. © Yann Levy / Hans Lucas Le dôme construit pendant la consultation de juin 2016, et au second plan le marché libre qui se tient deux fois par semaine. © Yann Levy / Hans Lucas

Au lendemain de l’annonce de l’abandon de l’aéroport par Édouard Philippe, une assemblée générale des usages a réuni près de 300 personnes sur la ZAD afin de décider du sort de la route. La discussion fut longue et houleuse, selon des participant·e·s. Si bien que vers 23 heures, des représentantes de l’ACIPA, l’association historique des opposants, et de COPAINS, les agriculteurs anti-aéroport, ont annoncé leur décision unilatérale de dégager la départementale. « Certains le voient comme un coup de force mais cela faisait plusieurs réunions que nous parlions du sujet sans avancer », explique Cyril Bouligand, porte-parole de COPAINS. Un compromis a été trouvé : une cabane du nom de Lama fâché pourra rester sur le bitume, au moins à court terme. La préfecture ne s’y est pas opposée pour l’instant.

Une fois réglé le problème de la D281, une course contre la montre va démarrer pour concilier deux visions de l’avenir de la ZAD. Celle du chef du gouvernement, pour qui : « Les occupants illégaux de ces terres devront partir d’eux-mêmes d’ici le printemps prochain ou en seront expulsés », comme il l’a expliqué lors de l’annonce de l’abandon de l’aéroport. « Les terres retrouveront leur vocation agricole », a-t-il ajouté et « l’État engagera une cession progressive du foncier de Notre-Dame-des-Landes ».

Et celle du mouvement contre l’aéroport qui souhaite régulariser un système de gestion collective des terres, appuyé sur une délégation par l’État qui garderait la maîtrise du foncier, comme cela s’est passé au Larzac en 1985. De son côté, la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique pousse pour une réintégration des hectares sauvés du bétonnage au circuit classique.

Les 1 650 hectares de la ZAD appartiennent à l’État qui en a concédé l’usage à Vinci, pour y construire l’aéroport, en 2010. Concrètement, environ 450 hectares y sont cultivés par les familles des paysans résistants qui ont refusé de vendre leurs terres à la multinationale et ont été condamnées à en être expulsées en janvier 2016 (retrouver ici nos articles à ce sujet). 850 hectares, soit près de la moitié de la zone, ont été redistribués par Vinci aux agriculteurs qui, eux, ont cédé leurs terres à l’amiable. Ils ont bénéficié d’une indemnisation financière, d’une compensation en terre en dehors de la zone et de baux précaires qui leur permettent d’utiliser des champs de la ZAD, évitant ainsi qu’ils ne partent en friches, plus difficiles à débroussailler. C’est la raison pour laquelle les opposant·e·s à l’aéroport les considèrent comme des « cumulards ». Mais depuis 2012, le mouvement anti-aéroport a décidé de reprendre une partie de ces terrains en les occupant. Début 2018, environ 270 hectares de la ZAD sont ainsi cultivés collectivement par le mouvement. On y trouve des champs de céréales, du maraîchage, de l’apiculture. Enfin, les 400 hectares restants sont couverts de bois, friches et haies, autant d’espaces dont les habitant·e·s ont pris en charge l’entretien.

Carte des parcelles agricoles de la ZAD en avril 2015 (cliquer sur la carte pour l'agrandir). © DR Carte des parcelles agricoles de la ZAD en avril 2015 (cliquer sur la carte pour l’agrandir). © DR

Le mouvement d’occupation travaille parmi d’autres options sur le scénario d’un bail emphytéotique, un bail foncier à très longue durée qui permet au preneur de sous-louer des parcelles à des locataires. Le titulaire pourrait en être une entité juridique issue de l’assemblée des usages, qui regroupe les composantes du mouvement : zadistes, ACIPA, COPAINS, élus contre l’aéroport, naturalistes en lutte, et la Coordination qui regroupe une soixantaine d’associations et syndicats. Ils partagent une vision commune : « Les six points pour l’avenir de la ZAD », un texte rédigé en 2013, quelques mois après l’échec de l’évacuation. Il énonce plusieurs principes fondateurs de l’avenir de la zone : que tous les habitant·e·s actuel·le·s de la zone puissent y rester, que les agriculteurs retrouvent leurs droits, les anciens propriétaires et locataires qui ont subi l’expropriation et ont refusé les indemnisations aussi. Que les terres soient prises en charge par une entité issue de la lutte, et qu’elles servent à des installations agricoles ou non, officielles ou hors cadre, mais pas à l’agrandissement des exploitations existantes. Et que les formes d’habitat, de vie et de lutte créées sur ce territoire puissent se poursuivre. Le mouvement souhaite qu’un gel de deux ans soit respecté avant de distribuer les terres.

« Le texte des six points est notre base »

Malgré son ton ferme, la position énoncée par Édouard Philippe aménage en réalité un cadre de discussion : « À l’expiration de la trêve hivernale, l’ensemble des occupants sans titre, présents illégalement sur le terrain, devront avoir quitté les lieux, soit volontairement, soit parce qu’ils auront été expulsés », a-t-il déclaré sur TF1 le 17 octobre.

Jusqu’au 31 mars la question devient ainsi : quels habitants, quelles activités peuvent-elles être régularisées avant l’expiration de la trêve hivernale ? Pour le ministère de la transition écologique, les situations seront étudiées au cas par cas. Une grande majorité d’entre elles devraient être réglées au 31 mars, estime-t-on dans l’entourage de Nicolas Hulot. Des échanges ont lieu en coulisse avec son cabinet mais c’est la préfecture de Loire-Atlantique qui est en première ligne. Un coordinateur doit être nommé pour assurer les discussions avec le mouvement d’occupation.

L’eurodéputé José Bové, ancien du Larzac et toujours membre actif de la société créée en 1985 pour en gérer collectivement les terres (la SCTL) ainsi que le député LREM Matthieu Orphelin, très actifs avant l’annonce d’abandon de l’aéroport, continuent de parler aux un·e·s et aux autres afin d’aboutir à une situation pacifique. L’objectif est que le plus grand nombre de personnes et de collectifs soient régularisés au 31 mars. Cela pourrait passer par un ensemble de critères à définir : assurances en règle pour les lieux de vie, notamment contre le risque incendie. Cotisations sociales à jour, loyers, même modiques, acquittés. Déplacements de cabanes sur des terrains appartenant aux paysans historiques. Va aussi se poser la question du paiement de la taxe foncière et sur les ordures ménagères.

Sur la ZAD, on trouve plusieurs types d’habitat : maisons en dur,  cabanes, diverses formes d’autoconstruction. Les habitant·e·s se partagent souvent entre un lieu de couchage individuel et un lieu de vie collectif. La préservation de ces formes de vie va être un fort enjeu, comme l’amélioration des logements les plus inconfortables. La loi ALUR, votée en 2014, introduit la notion de résidence démontable comme forme permanente d’habitat, et pourrait ainsi offrir un cadre général de discussion. Certaines cabanes pourraient être déplacées pour dégager la voie de parcelles agricoles. Un travail de dentellière s’amorce, lieu par lieu, collectif par collectif. Il doit démarrer par une séquence de purge juridique, pour identifier les propriétaires de chaque parcelle occupée.

Le « hangar de l'avenir » dont la construction a débuté pendant la manifestation des bâtons en octobre 2016 © Yann Levy / Hans Lucas Le « hangar de l’avenir » dont la construction a débuté pendant la manifestation des bâtons en octobre 2016 © Yann Levy / Hans Lucas

« Il faut réussir à monter une délégation commune de discussion avec l’État, on ne veut pas y aller séparément, explique Cyril Bouligand, porte-parole de COPAINS, les paysan·ne·s contre l’aéroport. Le texte des six points est notre base mais il est assez large. Il y a plein de sujets à bosser pour convaincre l’État qu’on peut gérer ces terres. Que faire des habitations ? Comment éviter le mitage des terres sans passer par un plan local d’urbanisme ? Quels nouveaux types de projet va-t-on accepter sur la zone ? » Une nouvelle assemblée générale des usages doit se tenir mercredi 24 janvier.

Jeudi soir, au lendemain de l’abandon de l’aéroport, Marcel Thébault, qui exploite la ferme du Liminbout avec son épouse Sylvie, expliquait : « Ici, les gens n’ont pas les mêmes idées, pas les mêmes stratégies mais c’est ensemble qu’on gagne. » La ZAD a-t-elle un avenir ? « C’est un beau défi. Sur les usages communs, les choses peuvent bouger ici. Il y a ici des pistes vitales pour repenser notre monde qui part à vau-l’eau. C’est bien qu’on ait l’exemple du Larzac en tête, ça rend les discussions crédibles. Mais en tant qu’agriculteurs, on ne veut pas imposer une normalisation à tout le monde. Ceux qui ne font pas d’agriculture, ceux qui n’ont pas d’argent doivent pouvoir rester. »

« Une des premières victoires de la lutte historiquement, lorsque le périmètre de la zone d’aménagement a été dessiné en 1974, a été d’obtenir que de jeunes paysans puissent continuer à s’y installer pour éviter que le territoire ne se vide et meure », rappelle Geneviève Coiffard, militante chevronnée contre l’aéroport. Marcel et Sylvie Thébault, exploitants de la ferme du Liminbout, aujourd’hui considérés à juste titre comme des paysans historiques de la ZAD, s’y sont installées juste avant que le projet d’aéroport ne soit relancé par le gouvernement de Lionel Jospin. « Cette idée d’une terre à soigner, d’un territoire qu’il ne fallait pas abandonner a été présente très tôt. »

Marcel Thébault, paysan historique de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas Marcel Thébault, paysan historique de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas

Pour Novitch, ancien habitant de l’est de la zone, aujourd’hui posé à la Noé verte où il plante avec d’autres un verger : « Ce n’est pas évident d’être victorieux. La ZAD sans l’aéroport et sans la route des chicanes sera-t-elle plus posée, moins vivante ? Ce ne sera plus la même chose sans la pression policière. C’était une zone à défendre. Elle peut devenir une Zone d’Autonomie Définitive. » À ses côtés, un jeune homme récemment arrivé prend soin de deux poneys qui pourraient aider au maraîchage du collectif : « Ce qui est idyllique ici, ce ne sont pas les paysages, c’est l’expérimentation. Dans quel autre endroit au monde tu peux changer plus de mille hectares de terres en squat ? Vivre en habitat léger, dans plein de communes en France, c’est compliqué. Ici, historiquement, le mouvement, le rapport de force, fait que c’est possible. »

À quelques dizaines de mètres, “gibier” – « tout en minuscule », précise-t-il –, déjà rencontré lors de notre reportage panoramique au printemps 2017, répare, avec son frère Max, une structure de hangar récupérée. Autour de lui s’étendent des parcelles de cultures collectives et particulières. Des choux-fleurs, des poireaux, des courges. Il vend des légumes au marché du village et à Nantes. Il a transformé un vélo en pompe pour arroser sa serre. La tempête a déchiré la structure. Il prévoit de la réparer car comme la dizaine d’habitant·e·s rencontrées par Mediapart dans les deux jours suivant l’annonce de l’abandon de l’aéroport, il compte bien rester sur la zone.

À la Noé verte, "gibier" avec son frère Max. © Yann Levy / Hans Lucas À la Noé verte, « gibier » avec son frère Max. © Yann Levy / Hans Lucas

Pour Sébastien, membre du groupe vaches de la ZAD, lui aussi interviewé l’année dernière : « Quand tu es paysan dans le cadre classique, tu t’endettes. Hors de question pour moi d’enrichir les banques. Je veux nourrir les gens. Continuer à bosser avec des bêtes qui ne sont pas vraiment à nous. Continuer à m’occuper du bocage. Partager les produits et les connaissances. Je place la solidarité en haut de notre échelle de valeurs. Continuer à faire des trucs ensemble avec les gens qui se sont battus ici depuis des années. » Zadistes paysans et agriculteurs historiques envisagent la construction d’un lieu de transformation du lait produit sur la zone pour en faire du fromage et du beurre. « On n’est pas normalisable. On est dans une forme de sécession ici par rapport à la constitution qui dit que la République est une et indivisible. Est-on ici dans une République à part ? A-t-on le droit dans la nation d’avoir des bulles d’air où ça ne se passe pas comme ailleurs ? Ça me paraît vital pour sortir de l’individualisme et donner plus de sens à ce qu’on fait. Ce que je fais ici, ce n’est pas de l’utopie, c’est de la lucidité. Ce n’est pas un discours, c’est ma vie. L’abandon de l’aéroport est vraiment une victoire sociale et écologique. Mais le combat continue. »

« Dans les luttes, il faut des réponses adaptées »

Ces témoignages indiquent à quel point la bataille pour la ZAD ne se résume pas à un enjeu de préservation des terres agricoles. C’est surtout une lutte pour les communs. On arrache à la propriété privée et à la logique du profit ce qui doit appartenir à tou·te·s et être soigné par le plus grand nombre. L’écosystème prospère quand il est pris en charge collectivement. Cette attitude active et partageuse transforme aussi celui qui en prend soin. C’est une version autonome des communs, au sens politique du terme, et cela en fait une expérience unique en France à cette échelle. Autogérer élevage bovin et maraîchage, production de bois, de semences et de bière, la construction de hangars, ou l’utilisation d’une bibliothèque, change tout. On ne délègue pas, on fait par soi-même. On en est pleinement responsable. C’est une expérience empirique de liberté, de limites assumées, de sortie du capitalisme.

La vie sur la ZAD est souvent dure, pleine de contraintes et de conflits. Mais elle a donné naissance à une véritable commune rurale où se réinventent les rapports entre humains et avec la nature. Une alternative à un système économique défaillant, producteur de chômage et d’inégalités. Et une critique à l’œuvre de la domination patriarcale, du racisme systémique, du pouvoir de l’argent et de la réussite sociale. Cette créativité radicale, qui repense tout par la racine, n’est pas soluble dans l’agriculture certifiée biologique.

« Ceux qui n’ont pas de titre de propriété seront expulsés », a indiqué le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux sur France Inter le 18 janvier.

Mais en Loire-Atlantique, peu de paysans sont propriétaires de leurs parcelles. La plupart travaillent en fermage, en signant des baux avec un propriétaire. Ce système distingue la propriété de l’usage et crée ainsi une plus grande souplesse dans la distribution du foncier, tout en facilitant l’accès des jeunes. « Pour nous, la première chose serait d’obtenir le gel de l’attribution des terres car si elles repartent tout de suite dans le circuit classique via les CDOA [commission départementale d’orientation de l’agriculture], elles serviront à l’agrandissement de fermes existantes, les projets d’installation ne seront pas prêts », explique Cyril Bouligand. Dans le 44, environ 2 000 paysans quittent leur activité chaque année contre 500 installations, selon l’estimation de COPAINS.

Une serre mise en place par "gibier" sur la Noé verte. © Yann Levy / Hans Lucas Une serre mise en place par « gibier » sur la Noé verte. © Yann Levy / Hans Lucas

La réserve foncière de la ZAD doit être pour eux l’occasion de sortir du schéma classique de gestion des terres pour arrêter cette hémorragie. Certains propriétaires contre l’aéroport ont été expropriés, et ont refusé de toucher l’argent qui a été placé à la Caisse des dépôts. Ils pourraient retrouver leurs terres s’ils le souhaitent. Le sort de ceux qui ont signé à l’amiable avec Vinci semble plus incertain. Les habitant·e·s de la ZAD deviendront-ils des villageois comme les autres ? Cette perspective paraît encore bien lointaine tant la zone est un creuset d’alternatives sans concession. Martelée par une partie des médias et de la classe politique, la distinction entre « gentils » zadistes paysans et « méchants » black blocs ne fait aucun sens.

Tou·te·s partagent un projet commun : vivre sans État, sans police, sans prison. Entre les un·e·s et les autres, les tactiques politiques peuvent être diverses mais portées par les mêmes personnes en fonction de la situation. « Je me réclame à titre personnel de la non-violence car elle est efficace dans la construction d’un rapport de force très large et parce que philosophiquement je pense que la fin est dans les moyens, explique Geneviève Coiffard, 71 ans, pilier du mouvement contre l’aéroport. Dans le monde qu’on veut construire, on ne se tape pas la gueule. Mais l’année dernière, quand la ZAD risquait de se faire évacuer, on ne faisait pas face à un maintien de l’ordre clair mais à une armée impérialiste voulant conquérir et détruire le territoire. Dans ce contexte, les actes de résistance ne sont pas les mêmes que lors d’une manif classique. À ce moment-là, je ne condamnais pas les actes que cela aurait pu entraîner. Dans les luttes, il faut des réponses adaptées. »

La question de la violence pourrait cependant se reposer à partir de la fin mars. L’ultimatum lancé par le premier ministre laisse certes des portes largement ouvertes pour une résolution pacifiée, mais l’exécutif devra aussi compter sur la pression politique et policière.

D’abord, les gendarmes ont fort mal vécu l’interruption brutale de l’opération César, en 2012, à la demande du premier ministre Jean-Marc Ayrault. Les gendarmes sur place et les gradés étaient persuadés de pouvoir mener à son terme l’évacuation de la ZAD. Alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls raconte encore aujourd’hui avec amertume comment lui-même a découvert l’interruption de l’opération, par l’intermédiaire de son chef de cabinet. Toutes les déclarations plus va-t-en-guerre les unes que les autres ces trois derniers mois dans les médias montrent un désir de « match retour » de la part des forces de l’ordre.

Une évacuation suivie de la construction de l’aéroport était très compliquée à planifier du fait de plusieurs contraintes, notamment celles imposées par les cinq espèces protégées, dont les tritons, que l’on trouve sur NDDL. Chacune de ces espèces ne pouvant pas être déplacée à certaines périodes de l’année… Avec l’abandon du projet de l’aéroport, l’intervention est désormais possible n’importe quand. Avec une dernière contrainte : NDDL étant un bocage, le beau temps est préférable à une opération de maintien de l’ordre de grande envergure, ce qui peut expliquer que le gouvernement privilégie le printemps. Autre contrainte : certaines expulsions nécessiteraient une décision de justice, a rappelé lundi Françoise Verchère, ancienne maire de Bouguenais – la ville proche de l’actuel aéroport – et porte-parole des élus du Cédpa.

Les bâtons plantés le 8 octobre 2016, à l'occasion d'une manifestation sur la ZAD, sont toujours là un an plus tard. © Yann Levy / Hans Lucas Les bâtons plantés le 8 octobre 2016, à l’occasion d’une manifestation sur la ZAD, sont toujours là un an plus tard. © Yann Levy / Hans Lucas

Les zadistes auraient des sources au sein de la préfecture du 44. « Ils sauront la date de l’expulsion », est persuadée une source au ministère de l’intérieur. Selon un membre des services de renseignements, « toute la question va être de savoir comment va réagir le mouvement, lui-même tiraillé par différentes tendances. Jusqu’ici, les zadistes ont toujours su taire leurs divergences internes et fonctionner en bloc. Là, ça sera l’instant de vérité. S’ils restent unis, ils peuvent nous entraîner dans un conflit total. Eux aussi sont à la croisée des chemins. Ça peut être douloureux pour tout le monde. »

 

« Il faut arrêter de dire que ce sera le Vietnam ! Il n’y a pas de kalachnikovs à NDDL. Une kalachnikov, on sait ce que cela fait. Cela fait Charlie Hebdo, cela fait le Bataclan. Ici, il y a des cartouches de chasse qui explosent sur les barricades, des pièges avec des clous de charpentier. C’est ennuyeux, c’est dangereux pour nos forces de l’ordre. Mais il ne faut pas fantasmer : les zadistes n’ont pas d’armes de guerre. Sur la ZAD, les engins explosifs se sont toujours révélés factices », tempère un autre officier du renseignement. Lequel précise : « Des zadistes très violents, il y en a mais c’est vraiment un petit noyau. On les connaît. Ils seront rejoints tous les week-ends par des gens venus pour casser du policier. Pour le reste, la communauté des zadistes est très disparate. Par exemple, à l’est de la ZAD, il y a les primitivistes, radicaux dans leur idéologie mais pas forcément violents. »

D’autant que le pouvoir table visiblement sur un départ volontaire des zadistes les plus radicaux vers d’autres territoires en lutte. Bure (Meuse), où devrait être construit un complexe d’enfouissement des déchets nucléaires, est régulièrement cité. Dès lors que la plupart des zadistes seraient de fait légalisés au printemps, le pouvoir pourrait privilégier les opérations plus ciblées s’il restait des individus considérés comme hostiles. La stratégie du traitement différencié se fera à partir des notes blanches des services de renseignement. Le week-end dernier, des occupant·e·s ont déjà dû faire face à des contrôles routiers relativement ciblés : arrêt de certains véhicules, fouille consciencieuse et longue vérification de l’identité. Des personnes disent avoir été contrôlées plusieurs fois dans la même journée de vendredi dernier. Un homme s’est fait saisir un couteau et du cannabis. La préfecture a en outre pris plusieurs arrêtés d’interdiction de transport de substances dangereuses.

Dans l'espace presse de La Rolandière. © Yann Levy / Hans Lucas Dans l’espace presse de La Rolandière. © Yann Levy / Hans Lucas

Le rassemblement du 10 février, au lendemain de l’expiration de la déclaration d’utilité publique du défunt aéroport, s’intitule « Enracinons l’avenir ». Il aura sans doute valeur de test pour le gouvernement. Maintenant que l’aérogare est abandonnée, il donnera une indication du niveau de soutien du reste de la société à la ZAD.

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