Sur la ZAD, le choc de la victoire

19 janvier 2018 MEDIAPART Par et

Au lendemain de la décision du gouvernement de ne pas construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les habitant·e·s du bocage nantais, pour certain·e·s en lutte depuis des décennies, ont encore du mal à croire à la nouvelle. Le soulagement et la joie sont présents, mais d’autres questions affleurent déjà.

ZAD de Notre-Dame-des-Landes, de nos envoyés spéciaux.-  Au petit matin, jeudi 18 janvier, alors que le jour n’était pas encore levé, une dalle de béton a été coulée sous le hangar de l’avenir, cette belle charpente érigée en 2016 pour abriter un atelier de formation à la menuiserie et une scierie. La première journée sans aéroport vient de démarrer sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

À la même heure, Marcel Thébault, paysan historique de la lutte, a trait ses vaches dans l’étable de la ferme du Liminbout. À Bellevue, Camille a pris soin du troupeau bovin collectif. Dans leurs caravanes, camions ou maisons, des habitant·e·s ont dormi tard pour effacer la fatigue et l’ivresse de la veille. Les plus motivé·e·s ont commencé à préparer l’assemblée générale qui doit se tenir le soir pour décider des suites de la lutte.

Car tout a changé pour le bocage de Notre-Dame-des-Landes. Les 1 650 hectares ne seront pas détruits. Une sidération joyeuse se lit dans les yeux et les sourires des occupant·e·s qui arpentent les chemins de la zone. Ces arbres, ces champs d’herbe et ces sentiers, si souvent contemplés en ayant peur de les perdre, ne finiront finalement pas sous le béton. Prises dans les mille tâches que requiert la vie sur la ZAD : préparer des repas collectifs, déposer les rebuts à la déchetterie, trier des vêtements donnés, préparer un chantier de construction, les personnes croisées sur les chemins répètent leur difficulté à croire à ce qu’elles sont en train de vivre. Leurs premières heures sans aéroport.On entend : « C’est irréel », « J’ai du mal à réaliser », « Ça fait tellement longtemps qu’on luttait ». « Il y a eu comme un choc culturel hier, résume Marcel Thébault, jeudi soir, en nourrissant ses vaches. C’est un moment pour que les choses bougent. »

Jeudi matin, des volontaires ont nettoyé et rangé la Vache Rit, lieu historique du mouvement contre l’aéroport, qui a accueilli la fête de la victoire, la veille. Les dizaines de gobelets marqués du logo rouge « Non à l’aéroport » sont soigneusement rangés dans un carton. « Il va falloir les changer », sourit une femme. « On écrit : “Enracinons l’avenir” ? », slogan du rassemblement prévu le 10 février sur la zone, propose une militante de l’ACIPA. Des journalistes zonent sous la pluie à la recherche de zadistes à interroger ou photographier. Une équipe a perdu son pied de caméra.

À Vigneux et à La Pâquelais, les villages environnants, des compagnies de gendarmes sont signalées, de même que des convois ont été aperçus sur la quatre voies, mais sur place, la présence des forces de l’ordre est discrète. Pas d’hélicoptère, pas de check-point. L’afflux de renforts militants vers la ZAD, redouté par les forces de l’ordre, ne se produit pas. « Il y a une situation nouvelle, une nouvelle séquence qui s’ouvre », expliquent en début d’après-midi deux habitant·e·s à des journalistes réunis à La Rolandière, lieu d’accueil de la ZAD. Pas question pour l’instant d’évoquer la suite. « Je vous rappelle que la décision date d’hier », indique une occupante quand on lui demande ce qui est prévu.

L’annonce de l’abandon de l’aéroport a été fêtée toute la nuit de la veille en divers lieux de vie de la ZAD. Une célébration d’anthologie, moment poignant de joie collective, physique, pleine de câlins, d’embrassades et de congratulations. Beaucoup rient, chantent, dansent en se tenant par le bras, en petits groupes, serrés les un·e·s contre les autres, en pogo punk. Quelques pluies de champagne arrosent les danseurs. Certain·e·s pleurent de joie. Des enfants jouent dans la cour à faire peur aux inconnus. De vieux paysans côtoient des jeunes squatteurs. À la sono, chaque morceau ou presque donne lieu à interprétation : We are the champion, de Queen, Résiste, de France Gall, You can get it if you really want, de Desmond Dekker…

Toutes les composantes du mouvement sont présentes : l’association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa), l’association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca), le collectif Copains (des agriculteurs solidaires de la région), les naturalistes en lutte, et bien entendu, les occupant·e·s. L’eurodéputé EELV Yannick Jadot et son équipe circulent entre les danseurs.

Jeudi soir, lors de la fête donnée à la Vache Rit. © CGJeudi soir, lors de la fête donnée à la Vache Rit. © CG

Dans un communiqué commun diffusé mercredi après-midi, le mouvement parle d’« une victoire historique face à un projet d’aménagement destructeur », qui « aura été possible grâce à un long mouvement aussi déterminé que divers ». Sur l’avenir de la ZAD, il pose trois conditions : « La nécessité pour les paysan-ne-s et habitant-e-s expropriés de pouvoir recouvrer pleinement leurs droits au plus vite », « le refus de toute expulsion de celles et ceux qui sont venus habiter ces dernières années dans le bocage », et enfin, la « prise en charge à long terme des terres de la ZAD par le mouvement dans toute sa diversité ». Le communiqué demande également une « période de gel de la redistribution institutionnelle des terres ».

« La route des barricades a une histoire liée à la résistance »

Dès l’après-midi, les échanges reprenaient entre la préfecture de Loire-Atlantique et les opposant·e·s. Interrogé par CNews jeudi matin, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, s’est voulu ferme : « Dans les deux-trois jours qui viennent, nous souhaitons libérer les routes », a-t-il expliqué, avant d’évoquer finalement l’échéance de la fin de la semaine prochaine. « Nous préférons le faire par la discussion, la négociation, plutôt que de le faire en envoyant un certain nombre d’engins qui le feraient à leur place », a ajouté le ministre, mettant ainsi la balle dans le camp du mouvement anti-aéroport.

Lors d’une conférence de presse, qui s’est tenue elle aussi jeudi matin, la préfète de Loire-Atlantique, Nicole Klein, a livré le même calendrier : « Je me déplacerai personnellement, la semaine prochaine, pour m’assurer que l’on peut circuler librement sur la route départementale occupée. » « Ce ne sera ni coûteux ni compliqué de remettre la route en l’état. On doit pouvoir y rouler tranquillement, à 30 km/h », a ajouté la représentante de l’État, précisant : « Ils devraient dégager la route et s’ils ne le font pas d’eux-mêmes, les gendarmes iront la dégager. » Pour la suite, la préfète Nicole Klein a fait montre d’ouverture : « Le maître-mot, c’est la médiation. »

Sur la RD281, dans la ZAD © Yann Levy / Hans Lucas Sur la RD281, dans la ZAD © Yann Levy / Hans Lucas

Jeudi soir, s’est tenue une “assemblée des usages” réunissant l’Acipa, l’association historique des riverains contre l’aéroport, des habitant·e·s de la ZAD, les naturalistes en lutte, les paysans de Copains, la coordination regroupant plusieurs associations. Pour les occupant·e·s, le message central est clair et sans équivoque : « Le projet central, c’est que tous ceux qui souhaitent rester le puissent. » Mais dans sa déclaration mercredi, le premier ministre Édouard Philippe a tenté d’enfoncer des coins dans la solidarité entre les différents acteurs.

« L’État engagera une cession progressive du foncier de Notre-Dame-des-Landes, dès maintenant, les forces de l’ordre sont mobilisées pour que ce processus se déroule dans le respect de la loi et que les squatteurs libèrent progressivement les terres qui ne leur appartiennent pas », a précisé Édouard Philippe, soulignant sa volonté de mettre fin à « une zone de non-droit qui prospère depuis près de dix ans sur cette zone ».

L’évacuation elle-même ne devrait pas intervenir avant le printemps et donc l’expiration de la trêve hivernale sur les expulsions (le 30 mars), a ajouté le premier ministre. D’ici là, la route départementale D281, couverte de quelques cabanes et restes de barricades devra être libérée, comme le réclament depuis plusieurs mois paysan·ne·s et riverain·ne·s.

Le bocage de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas Le bocage de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas

« Il a été dit par le mouvement qui prendrait ça en charge mais donnez-nous du temps, précise Camille, du groupe presse. Dans ce cadre, une présence policière ne ferait qu’envenimer la situation. La route des barricades a une histoire liée à la résistance » contre les gendarmes de l’opération César qui avaient tenté d’évacuer la ZAD de force avant de renoncer en 2012.

Concernant le devenir du foncier des 1 650 hectares de la zone, « si des gens veulent venir s’installer demain pour des projets classiques sur la zone, c’est possible, mais si des gens viennent pour exercer une nouvelle paysannerie, une gestion collective, il faut que ce soit possible aussi ». « Développer des manières nouvelles de faire les choses, des manières nouvelles d’habiter le bocage, cela fait partie du projet ici. Mais il est complètement prématuré de parler de rachat de terres, de comparer avec ce qui s’est passé au Larzac, ou même de bail emphytéotique ».Ces questions devront trouver leurs réponses dans les prochains jours et les prochaines semaines. En attendant, la ZAD garde son propre agenda : le 1er février, Éric Vuillard, prix Goncourt, est l’invité de la bibliothèque créée par les occupant·e·s. Et le 10 février, tous les soutiens du mouvement sont appelés à venir « enraciner l’avenir ».

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