Entre Notre-Dame-des-Landes et le Larzac, une longue histoire de soutien

10 février 2018 MEDIAPART Par

Des milliers de personnes ont fêté la victoire, samedi 10 février, après l’expiration de la déclaration d’utilité publique de l’aéroport. Ces quarante ans de lutte doivent autant au Larzac qu’aux mobilisations du Grand Ouest.

Novembre 2012, manifestation de réoccupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes après l’échec de l’évacuation des occupant·e·s par les gendarmes. Une banderole accrochée à l’arrière d’une bétaillère : « Gardarem nostra dona ». Nous garderons Notre dame (des landes), comme les paysan·ne·s de l’Aveyron proclamèrent pendant toutes les années 1970 : « Gardarem lou Larzac ».

10 février 2018, après l’abandon du projet d’aéroport par le gouvernement, des milliers de personnes sont attendues dans le bocage de la ZAD pour fêter la victoire et « enraciner l’avenir », au lendemain de l’expiration de la déclaration d’utilité publique de l’aéroport. Pour les plus ancien·ne·s, la manifestation aura des airs de victoire du Larzac. En mai 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le plan d’extension du camp militaire du Larzac avait été mis à l’arrêt, après dix ans de mobilisation.

Pendant tout ce temps, les échanges n’ont pas cessé entre la lutte antimilitaire du plateau et les paysans-travailleurs de Loire-Atlantique emmenés par le leader syndical Bernard Lambert.

 

Préparation de la fête de la victoire de Notre-Dame-des-Landes, le 9 février 2018 (©Vladimir Vasiliev) Préparation de la fête de la victoire de Notre-Dame-des-Landes, le 9 février 2018 (©Vladimir Vasiliev)

En 2003, lorsqu’un autre gouvernement socialiste, conduit par Lionel Jospin, relance le projet d’aéroport en organisant une enquête publique, des habitant·e·s du Larzac reprennent contact avec Julien Durand, paysan et militant du village, pour proposer leur aide et partager leur expérience. Une rencontre s’organise sur le plateau. « On a comparé les deux situations et on a discuté d’un système de lutte. » L’idée naît ainsi de créer des comités locaux de soutien.

Entre le Larzac et Notre-Dame-des-Landes, les liens sont anciens, fournis et agités. Ces luttes compagnes se sont beaucoup apportées l’une à l’autre. Mais cette transmission ne concerne pas directement tout le mouvement contre l’aéroport. Pour une partie des occupant·e·s de la ZAD, le Larzac d’aujourd’hui est un repoussoir : légal, normalisé, amadoué par le système. Et représenté par un seul leader, José Bové, star des médias et élu au Parlement européen. Tout ce qu’elles et ils ne veulent pas devenir. Pourtant, la société collective des terres du Larzac (SCTL), qui gère les terres gagnées par la lutte, sert aujourd’hui de référence aux anti-aéroport pour imaginer un système foncier permettant que perdure la liberté autogestionnaire de la ZAD.

« Le Larzac, c’était une lutte contre les militaires, résume Julien Durand. On avait des objecteurs de conscience en Loire-Atlantique et on en avait abrité. » Sa première fois sur le plateau du Larzac, c’est en 1973. Il découvre le plateau, avec son épouse et ses enfants, lors d’un voyage d’études du CDJA (Comité des jeunes agriculteurs).

Quand les 103 paysans du Larzac entrent en rébellion contre l’armée qui veut étendre son camp d’entraînement, à l’Ouest, le bocage est secoué de conflits entre propriétaires fonciers et fermiers qui leur louent leurs terres. En 1973, lors de la grande marche du Larzac, les Paysans travailleurs sont en première ligne. Ce mouvement militant veut rapprocher milieux ruraux et ouvriers autour de l’idée de la valeur d’usage contre les inégalités et l’exploitation générée par la propriété privée. Il a été fondé et est dirigé par une figure centrale en Loire-Atlantique, Bernard Lambert, syndicaliste paysan puis député, auteur des Paysans dans la lutte des classes. Sur le plateau, il déclare une phrase devenue l’emblème du syndicalisme agricole de gauche : « Jamais plus les paysans ne seront des Versaillais. C’est pourquoi nous sommes ici pour fêter le mariage des Lip et du Larzac. » Et veut croire que « le Larzac sera le laboratoire foncier de la France ».

 

Julien Durand, au local de l'ACIPA, Notre-Dame-des-Landes, 9 février 2018 ©Vladimir Vasiliev Julien Durand, au local de l’ACIPA, Notre-Dame-des-Landes, 9 février 2018 ©Vladimir Vasiliev

 

L’année suivante, en 1974, l’État crée une zone d’aménagement différé autour de Notre-Dame-des-Landes, en prévision de la construction d’un aéroport. « C’est Bernard Lambert qui nous a prévenus le premier, se souvient Julien Durand. En tant que responsable syndical, il avait eu accès à une carte de futurs aménagements. « Sur Notre-Dame-des-Landes, il y a un point, je ne sais pas ce qu’il en sortira. » Le leader syndical est proche de paysans de la zone, Alphonse et Joseph Fresneau. Il s’y rend et y passe du temps. Il fut « mon père spirituel en syndicalisme », considère Julien Durand.

Un comité Larzac se crée dans le département, des paysan·ne·s participent à la construction de la bergerie de la Blaquière, grand moment d’action collective sur le plateau. « On peignait sur les routes d’ici : “Larzac-Notre-Dame-des-Landes : même combat” », se souvient Julien Durand. Entre les deux creusets de lutte, Michel Tarin, paysan de Notre-Dame joue un rôle-clé. En 2012, il participe à la longue grève de la faim des anti-aéroport, qui arrache un accord de moratoire sur les expulsions au candidat socialiste François Hollande. Il est mort en 2015. « Quand la zone d’aménagement différé a été créée en 1974, j’ai pris une claque, décrit Julien Durand. Pour nous, c’était une lettre de licenciement collectif. La terre était notre usine. On s’est battu contre, sur cette base. On allait à la messe et on sortait avant la fin pour distribuer des tracts contre l’aéroport ou pour une lutte foncière. On était taxés de rouges. »

Après l’annonce de l’abandon en janvier 2018, des paysan·ne·s du Larzac ont fait

passer au maire de Notre-Dame-des-Landes une note sur les STECAL, les secteurs de
taille et de capacité d’accueil limitée, un dispositif créé par la loi ALUR de Cécile Duflot
qui autorise l’habitat léger dans des secteurs couverts par les plans locaux
d’urbanisme. Les échanges d’expertise continuent entre les deux terres de lutte
paysanne.

En 1981, année de l’abandon de l’extension du camp militaire, une délégation du Larzac avait voyagé jusqu’au Japon ou des paysans se mobilisaient contre la destruction annoncée de leurs terres au profit de l’aéroport de Narita. C’était l’une des grandes luttes paysannes de l’époque. Elle fut perdue par les agriculteurs japonais. Mais sa mémoire se prolonge dans les rassemblements contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes où un documentaire sur la lutte japonaise est montré. Encore une correspondance.

« Je suis un paléo-zadiste ! »

« Je suis un paléo-zadiste ! J’étais un occupant sans droit ni titre », sur le plateau du Larzac sourit José Bové. Le paysan a écrit un texte avec le député LREM Matthieu Orphelin imaginant un projet d’« agriculture durable et de biodiversité » pour la ZAD. En coulisses, il rencontre des conseillers ministériels au sujet de l’avenir de la zone. Il est toujours sociétaire de la SCTL du Larzac, étudié de près aujourd’hui par l’assemblée des usages de la ZAD, qui regroupe les différentes composantes du mouvement anti-aéroport (ACIPA, les agriculteurs de COPAINS, les naturalistes en lutte, la coordination et des habitant·e·s de la ZAD).

Cette structure, c’est une conquête du mouvement du Larzac, qui permet un usage foncier collectivement géré. « On voulait une alternative, que les paysans soient capables de gérer eux-mêmes les usages des terres, résume José Bové. L’idée de génie a été le transfert des terres via un bail emphytéotique. » L’État reste propriétaire, il loue les terres à la SCTL qui prend en charge toutes les obligations du propriétaire sauf le droit de vente. Conséquence : les terres ne sont pas vendables, pas cessibles, et sont indivisibles.

José Bové retrace la genèse de cette innovation juridique : si des paysans voulaient se détacher de la propriété agricole « c’est qu’on savait que tout le monde ne pouvait pas acheter. Si tu achètes, les banques se retrouvent au cœur du système et à chaque génération tu dois rembourser. D’où l’idée plutôt de gérer les usages, comme pour un commerçant qui n’achète pas ses murs, mais le droit à y exercer son activité de vente ».

Dans les années 1970 et 1980, la question foncière était fortement débattue. Elle était l’objet de batailles théoriques chez les syndicats agricoles et des chercheurs de l’Inra, et de luttes paysannes contre les conditions économiques difficiles des fermiers. « Il y avait une pression terrible sur le foncier qui créait une ébullition sur le terrain et a créé un débat public », rappelle José Bové. Dans les fermes et devant les tribunaux des baux ruraux, se livrent des batailles acharnées autour de la durée des baux, la valeur des loyers et les critères d’accès au foncier.

Préparation de la fête de la victoire de Notre-Dame-des-Landes, le 9 février 2018 (©Vladimir Vasiliev) Préparation de la fête de la victoire de Notre-Dame-des-Landes, le 9 février 2018 (©Vladimir Vasiliev)

Le mouvement du Larzac et des Paysans travailleurs réclament la création d’offices fonciers, « des sortes de conseils municipaux des terres », résume Bové. Le Parti socialiste en défend une version étatiste, centralisatrice, mais les abandonne une fois au pouvoir. « Les offices fonciers, au fond c’était une idée léniniste, commente José Bové aujourd’hui. La SCTL, c’est une idée libertaire. » Sa forme particulière « a été formalisée par Daniel Boscheron, qui était juge à la Cour de cassation, cofondateur du Syndicat de la magistrature avec Louis Joinet, et Chantal de Crisenoy, chercheuse à l’INRA sur le foncier ».

L’État délègue la gestion des terres à la SCTL, qui, à son tour, la loue aux agriculteurs ou habitant·e·s du plateau qui exercent une activité. Ce sont des baux de carrière sur vingt ou trente ans, jusqu’à l’âge de la retraite. « Les terres et les maisons sont des outils de travail, tu n’y restes pas si tu n’y travailles plus, précise Bové. Cela a permis d’améliorer les droits des fermiers : s’ils aménagent et font des travaux dans des bâtiments qui ne leur appartiennent pas, ils peuvent, à leur départ, les céder à leur valeur d’usage. C’est un système de prêt à usage. »

Pour Julien Durand et ses camarades Paysans travailleurs dans les années 1970 : « L’intérêt des offices fonciers, c’était d’organiser le portage du foncier par l’État, la région ou le département. » La lutte des paysans travailleurs en Loire-Atlantique semble porter ses fruits. Les fermages y sont moins chers qu’ailleurs. « Ici, il n’y a pas de châtelain, pas de notaire, pas de médecin, résume Julien Durand, tout le monde disait Notre-Dame-des-Landes est ingouvernable. »

En 2013, les paysans du Larzac profitent de la présence des socialistes au pouvoir pour prolonger le bail de la SCTL jusqu’en 2083. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, se rend sur le plateau pour la signature. Mais des militant·e·s s’opposent à sa venue, et dénoncent le soutien du gouvernement à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Des défenseur·e·s de la ZAD vivent l’épisode comme une trahison. Invité en 2014 au rassemblement estival des opposant·e·s à l’aéroport, son intervention est perturbée et le son interrompu.

Julien Durand, au local de l'ACIPA, Notre-Dame-des-Landes, 9 février 2018 ©Vladimir Vasiliev Julien Durand, au local de l’ACIPA, Notre-Dame-des-Landes, 9 février 2018 ©Vladimir Vasiliev

 

Ces heurts, conflits et désaccords n’empêchent pas les nombreux gestes communs : la mobilisation des tracteurs autour des manifestant·e·s, la tracto-vélo montant vers Paris en 2015, en plein état d’urgence pour finir aux portes du château de Versailles, comme les tracteurs du Larzac étaient montés à la capitale. Le hangar de l’avenir, avec ses gargouilles de triton et son « ZAD » écrit en ardoise sur le toit, où scintille le fantôme de la bergerie construite collectivement sur le plateau de l’Aveyron.

Ce sont deux mouvements et deux histoires distinctes. Mais les échanges permanents entre elles montrent un partage d’outils de lutte et d’imaginaire. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes n’est pas un ovni d’extraterrestres squatteurs qui s’est un jour posé sur le bocage de la périphérie nantaise. Elle s’enracine dans une histoire longue et dense, où les un·e·s sont redevables des autres.

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