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La « ZAD » de Notre-Dame-des-Landes fête l’abandon de l’aéroport

10 février 2018 Par
Plusieurs milliers d’opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ont fêté sur place leur « victoire », samedi, au lendemain de l’expiration du délai de validité de la déclaration d’utilité publique (DUP) de ce projet.

NOTRE-DAME-DES-LANDES (Reuters) – Plusieurs milliers d’opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ont fêté sur place leur « victoire », samedi, au lendemain de l’expiration du délai de validité de la déclaration d’utilité publique (DUP) de ce projet.

Ce document était valable dix ans à compter de sa signature, en février 2008. Le Premier ministre, Edouard Philippe, a dit le 17 janvier, lors de l’annonce de l’abandon du projet, que le gouvernement retirerait la demande de prolongation qu’il avait déposée au Conseil d’État.

Les opposants avaient appelé à un grand rassemblement ce samedi, avant-même l’annonce du Premier ministre, pour parer à toute tentative d’évacuation de la « zone à défendre » (ZAD).

Certains sont venus avec des plants d’arbres pour symboliser « l’enracinement de la ZAD » et leur volonté de peser sur la future affectation des terrains ainsi préservés.

Ils s’inspirent notamment du modèle de la Société civile des terres du Larzac, que l’ancien syndicaliste agricole José Bové, aujourd’hui député écologiste européen, a contribué à créer en 1985 sur ce plateau du Massif central, quatre ans après l’abandon d’un projet d’extension du camp militaire voisin.

Un modèle viable, estime José Bové, venu pour l’occasion à Notre-Dame-des-Landes.

« Aujourd’hui, cela continue : on a augmenté le nombre de paysans de 26 % », souligne-t-il. « On a aussi diversifié l’activité : il y a une coopérative de bergers qui a 37 salariés, une coopérative qui transforme la viande, des gîtes et plein d’autres choses. »

TENSIONS

Sur la remorque d’un tracteur, des opposants déguisés en gaulois avaient déployé une banderole proclamant à l’adresse des partisans du projet d’aéroport : « Vous êtes venus, on vous a vus, on vous a vaincus ». Allusion à « l’opération César », une tentative avortée d’évacuation de la ZAD en 2012.

Un triton géant en tissu, symbolisant les espèces menacées par le projet, a participé à une grande « déambulation » sur la ZAD. Les « zadistes » ont brûlé un avion en bois à côté d’autres maquettes représentant des « luttes-soeurs » contre des projets comme le centre d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure (Meuse) ou la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin.

« L’État et le Parlement doivent légiférer pour changer les règles du jeu », a dit à Reuters José Bové. « Il faut que cela se traduise dans les lois pour montrer qu’on ne peut plus décider de manière complètement dictatoriale. »

« Cette lutte a gagné car le bon sens a prévalu », a ajouté l’ex-syndicaliste agricole. « Je veux maintenant que les autres projets obsolètes ou complètement disproportionnés puissent aller dans la même logique : tout cela doit être re-réfléchi de manière radicalement différente. »

Des tensions persistent à Notre-Dame-des-Landes autour de la remise en état de la départementale D281, la « route des chicanes », qui se fait sous surveillance policière en raison de l’hostilité d’une minorité de « zadistes » radicaux.

L’abandon du projet d’aéroport suscite aussi des tensions à Bouguenais, commune qui accueille l’actuel aéroport de Nantes, où 300 personnes ont manifesté samedi pour dénoncer la « trahison » du chef de l’Etat, Emmanuel Macron.

Ils ont symboliquement déposé leurs cartes d’électeurs dans un cercueil pour protester contre le non-respect du référendum de juin 2016 en Loire-Atlantique, qui s’était soldé par un vote à 55% en faveur du projet de Notre-Dame-des-Landes.

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Sur la ZAD, le choc de la victoire

19 janvier 2018 MEDIAPART Par et

Au lendemain de la décision du gouvernement de ne pas construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les habitant·e·s du bocage nantais, pour certain·e·s en lutte depuis des décennies, ont encore du mal à croire à la nouvelle. Le soulagement et la joie sont présents, mais d’autres questions affleurent déjà.

ZAD de Notre-Dame-des-Landes, de nos envoyés spéciaux.-  Au petit matin, jeudi 18 janvier, alors que le jour n’était pas encore levé, une dalle de béton a été coulée sous le hangar de l’avenir, cette belle charpente érigée en 2016 pour abriter un atelier de formation à la menuiserie et une scierie. La première journée sans aéroport vient de démarrer sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

À la même heure, Marcel Thébault, paysan historique de la lutte, a trait ses vaches dans l’étable de la ferme du Liminbout. À Bellevue, Camille a pris soin du troupeau bovin collectif. Dans leurs caravanes, camions ou maisons, des habitant·e·s ont dormi tard pour effacer la fatigue et l’ivresse de la veille. Les plus motivé·e·s ont commencé à préparer l’assemblée générale qui doit se tenir le soir pour décider des suites de la lutte.

Car tout a changé pour le bocage de Notre-Dame-des-Landes. Les 1 650 hectares ne seront pas détruits. Une sidération joyeuse se lit dans les yeux et les sourires des occupant·e·s qui arpentent les chemins de la zone. Ces arbres, ces champs d’herbe et ces sentiers, si souvent contemplés en ayant peur de les perdre, ne finiront finalement pas sous le béton. Prises dans les mille tâches que requiert la vie sur la ZAD : préparer des repas collectifs, déposer les rebuts à la déchetterie, trier des vêtements donnés, préparer un chantier de construction, les personnes croisées sur les chemins répètent leur difficulté à croire à ce qu’elles sont en train de vivre. Leurs premières heures sans aéroport.On entend : « C’est irréel », « J’ai du mal à réaliser », « Ça fait tellement longtemps qu’on luttait ». « Il y a eu comme un choc culturel hier, résume Marcel Thébault, jeudi soir, en nourrissant ses vaches. C’est un moment pour que les choses bougent. »

Jeudi matin, des volontaires ont nettoyé et rangé la Vache Rit, lieu historique du mouvement contre l’aéroport, qui a accueilli la fête de la victoire, la veille. Les dizaines de gobelets marqués du logo rouge « Non à l’aéroport » sont soigneusement rangés dans un carton. « Il va falloir les changer », sourit une femme. « On écrit : “Enracinons l’avenir” ? », slogan du rassemblement prévu le 10 février sur la zone, propose une militante de l’ACIPA. Des journalistes zonent sous la pluie à la recherche de zadistes à interroger ou photographier. Une équipe a perdu son pied de caméra.

À Vigneux et à La Pâquelais, les villages environnants, des compagnies de gendarmes sont signalées, de même que des convois ont été aperçus sur la quatre voies, mais sur place, la présence des forces de l’ordre est discrète. Pas d’hélicoptère, pas de check-point. L’afflux de renforts militants vers la ZAD, redouté par les forces de l’ordre, ne se produit pas. « Il y a une situation nouvelle, une nouvelle séquence qui s’ouvre », expliquent en début d’après-midi deux habitant·e·s à des journalistes réunis à La Rolandière, lieu d’accueil de la ZAD. Pas question pour l’instant d’évoquer la suite. « Je vous rappelle que la décision date d’hier », indique une occupante quand on lui demande ce qui est prévu.

L’annonce de l’abandon de l’aéroport a été fêtée toute la nuit de la veille en divers lieux de vie de la ZAD. Une célébration d’anthologie, moment poignant de joie collective, physique, pleine de câlins, d’embrassades et de congratulations. Beaucoup rient, chantent, dansent en se tenant par le bras, en petits groupes, serrés les un·e·s contre les autres, en pogo punk. Quelques pluies de champagne arrosent les danseurs. Certain·e·s pleurent de joie. Des enfants jouent dans la cour à faire peur aux inconnus. De vieux paysans côtoient des jeunes squatteurs. À la sono, chaque morceau ou presque donne lieu à interprétation : We are the champion, de Queen, Résiste, de France Gall, You can get it if you really want, de Desmond Dekker…

Toutes les composantes du mouvement sont présentes : l’association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa), l’association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca), le collectif Copains (des agriculteurs solidaires de la région), les naturalistes en lutte, et bien entendu, les occupant·e·s. L’eurodéputé EELV Yannick Jadot et son équipe circulent entre les danseurs.

Jeudi soir, lors de la fête donnée à la Vache Rit. © CGJeudi soir, lors de la fête donnée à la Vache Rit. © CG

Dans un communiqué commun diffusé mercredi après-midi, le mouvement parle d’« une victoire historique face à un projet d’aménagement destructeur », qui « aura été possible grâce à un long mouvement aussi déterminé que divers ». Sur l’avenir de la ZAD, il pose trois conditions : « La nécessité pour les paysan-ne-s et habitant-e-s expropriés de pouvoir recouvrer pleinement leurs droits au plus vite », « le refus de toute expulsion de celles et ceux qui sont venus habiter ces dernières années dans le bocage », et enfin, la « prise en charge à long terme des terres de la ZAD par le mouvement dans toute sa diversité ». Le communiqué demande également une « période de gel de la redistribution institutionnelle des terres ».

« La route des barricades a une histoire liée à la résistance »

Dès l’après-midi, les échanges reprenaient entre la préfecture de Loire-Atlantique et les opposant·e·s. Interrogé par CNews jeudi matin, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, s’est voulu ferme : « Dans les deux-trois jours qui viennent, nous souhaitons libérer les routes », a-t-il expliqué, avant d’évoquer finalement l’échéance de la fin de la semaine prochaine. « Nous préférons le faire par la discussion, la négociation, plutôt que de le faire en envoyant un certain nombre d’engins qui le feraient à leur place », a ajouté le ministre, mettant ainsi la balle dans le camp du mouvement anti-aéroport.

Lors d’une conférence de presse, qui s’est tenue elle aussi jeudi matin, la préfète de Loire-Atlantique, Nicole Klein, a livré le même calendrier : « Je me déplacerai personnellement, la semaine prochaine, pour m’assurer que l’on peut circuler librement sur la route départementale occupée. » « Ce ne sera ni coûteux ni compliqué de remettre la route en l’état. On doit pouvoir y rouler tranquillement, à 30 km/h », a ajouté la représentante de l’État, précisant : « Ils devraient dégager la route et s’ils ne le font pas d’eux-mêmes, les gendarmes iront la dégager. » Pour la suite, la préfète Nicole Klein a fait montre d’ouverture : « Le maître-mot, c’est la médiation. »

Sur la RD281, dans la ZAD © Yann Levy / Hans Lucas Sur la RD281, dans la ZAD © Yann Levy / Hans Lucas

Jeudi soir, s’est tenue une “assemblée des usages” réunissant l’Acipa, l’association historique des riverains contre l’aéroport, des habitant·e·s de la ZAD, les naturalistes en lutte, les paysans de Copains, la coordination regroupant plusieurs associations. Pour les occupant·e·s, le message central est clair et sans équivoque : « Le projet central, c’est que tous ceux qui souhaitent rester le puissent. » Mais dans sa déclaration mercredi, le premier ministre Édouard Philippe a tenté d’enfoncer des coins dans la solidarité entre les différents acteurs.

« L’État engagera une cession progressive du foncier de Notre-Dame-des-Landes, dès maintenant, les forces de l’ordre sont mobilisées pour que ce processus se déroule dans le respect de la loi et que les squatteurs libèrent progressivement les terres qui ne leur appartiennent pas », a précisé Édouard Philippe, soulignant sa volonté de mettre fin à « une zone de non-droit qui prospère depuis près de dix ans sur cette zone ».

L’évacuation elle-même ne devrait pas intervenir avant le printemps et donc l’expiration de la trêve hivernale sur les expulsions (le 30 mars), a ajouté le premier ministre. D’ici là, la route départementale D281, couverte de quelques cabanes et restes de barricades devra être libérée, comme le réclament depuis plusieurs mois paysan·ne·s et riverain·ne·s.

Le bocage de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas Le bocage de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas

« Il a été dit par le mouvement qui prendrait ça en charge mais donnez-nous du temps, précise Camille, du groupe presse. Dans ce cadre, une présence policière ne ferait qu’envenimer la situation. La route des barricades a une histoire liée à la résistance » contre les gendarmes de l’opération César qui avaient tenté d’évacuer la ZAD de force avant de renoncer en 2012.

Concernant le devenir du foncier des 1 650 hectares de la zone, « si des gens veulent venir s’installer demain pour des projets classiques sur la zone, c’est possible, mais si des gens viennent pour exercer une nouvelle paysannerie, une gestion collective, il faut que ce soit possible aussi ». « Développer des manières nouvelles de faire les choses, des manières nouvelles d’habiter le bocage, cela fait partie du projet ici. Mais il est complètement prématuré de parler de rachat de terres, de comparer avec ce qui s’est passé au Larzac, ou même de bail emphytéotique ».Ces questions devront trouver leurs réponses dans les prochains jours et les prochaines semaines. En attendant, la ZAD garde son propre agenda : le 1er février, Éric Vuillard, prix Goncourt, est l’invité de la bibliothèque créée par les occupant·e·s. Et le 10 février, tous les soutiens du mouvement sont appelés à venir « enraciner l’avenir ».

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La ZAD se cherche un avenir

La construction de l’aéroport écartée, la question de l’avenir de la ZAD est sur toutes les lèvres. À brève échéance, le mouvement d’occupation fait preuve de bonne volonté en libérant la route RD281, dite « route des chicanes ». À plus long terme, les discussions avec l’État ont d’ores et déjà commencé, avec pour objectif de trouver une solution pérenne pour tous les occupants d’ici au 31 mars.

C’est un renversement de situation à peine croyable. Cette fois-ci, la préfecture soutient les habitant·e·s et défenseur·e·s de la ZAD contre le département. Depuis lundi 22 janvier, le mouvement d’occupation a commencé à dégager la route départementale 28, occupée depuis 2012 par des cabanes et des chicanes. Mais le conseil départemental, présidé par Philippe Grosvalet (PS), fervent partisan du défunt aéroport, considérait en début de semaine que les conditions n’étaient pas réunies pour y autoriser la circulation (lire ici son communiqué). Au point que l’État pourrait mettre en demeure la collectivité si elle tardait trop à lever l’interdiction.

L’anecdote en dit long sur le souci d’apaisement de la préfecture de Loire-Atlantique et sur l’accélération de l’histoire du bocage de Notre-Dame-des-Landes. Pour la préfète Nicole Klein : « La priorité, c’est de dégager la route. C’est très important, c’est le respect de la liberté de circulation. » Elle pourrait visiter la route d’ici la fin de la semaine. Pour l’État, c’est un symbole non négociable de retour à l’ordre public. Pour les riveraines, habitant·e·s des villages de La Pâquelais ou de Vigneux-de-Bretagne, c’est un soulagement après cinq ans de tensions. Émaillée de cabanes, restes de barricade et carcasses de voiture, la route ne laissait pas passer les bétaillères et les tracteurs. Certain·e·s considèrent que sa quasi-fermeture physique – en réalité des voitures pouvaient y rouler au pas – a porté préjudice aux petits commerces environnants. C’est en 2012, lors de la tentative d’évacuation de la ZAD par l’opération César, que la D281 a été recouverte d’obstacles, afin de ralentir l’avancée des gendarmes. Pendant des semaines, des checkpoints de gendarmes et des arrêtés d’interdiction de transport de substances avaient été maintenus, entretenant la tension. Le département de Loire-Atlantique avait fini par prendre un arrêté d’interdiction de circulation sur la départementale, striant son bitume d’épaisses encoches pour marquer physiquement son exclusion des axes de circulation.

Sur la D281, le département a strié la route de zébras pour signifier qu'elle n'était pas praticable. © Yann Levy / Hans Lucas Sur la D281, le département a strié la route de zébras pour signifier qu’elle n’était pas praticable. © Yann Levy / Hans Lucas

Au sein des occupant·e·s de la ZAD, le nettoyage de la route provoque des remous. Son occupation symbolisait l’insubordination de la zone et sa conflictualité. Divers incidents s’y sont produits ces dernières semaines, impliquant des personnes se considérant comme des gardiens ou des douaniers de la zone. Sur un plan plus politique, la D281 sépare le reste des collectifs de l’est de la zone, un espace non motorisé, sans électricité, sans eau courante, sans voiture. Y séjournent, souvent pour de brèves périodes de temps, des personnes rétives à l’organisation collective. C’est là que se trouve la très belle grotte creusée à la main dans l’argile par un habitant, qui sert de puits et d’enclos pour se retirer du monde, que les gendarmes et le JDD ont par erreur ou mauvaise intention pris pour un départ de tunnel secret.

Le dôme construit pendant la consultation de juin 2016, et au second plan le marché libre qui se tient deux fois par semaine. © Yann Levy / Hans Lucas Le dôme construit pendant la consultation de juin 2016, et au second plan le marché libre qui se tient deux fois par semaine. © Yann Levy / Hans Lucas

Au lendemain de l’annonce de l’abandon de l’aéroport par Édouard Philippe, une assemblée générale des usages a réuni près de 300 personnes sur la ZAD afin de décider du sort de la route. La discussion fut longue et houleuse, selon des participant·e·s. Si bien que vers 23 heures, des représentantes de l’ACIPA, l’association historique des opposants, et de COPAINS, les agriculteurs anti-aéroport, ont annoncé leur décision unilatérale de dégager la départementale. « Certains le voient comme un coup de force mais cela faisait plusieurs réunions que nous parlions du sujet sans avancer », explique Cyril Bouligand, porte-parole de COPAINS. Un compromis a été trouvé : une cabane du nom de Lama fâché pourra rester sur le bitume, au moins à court terme. La préfecture ne s’y est pas opposée pour l’instant.

Une fois réglé le problème de la D281, une course contre la montre va démarrer pour concilier deux visions de l’avenir de la ZAD. Celle du chef du gouvernement, pour qui : « Les occupants illégaux de ces terres devront partir d’eux-mêmes d’ici le printemps prochain ou en seront expulsés », comme il l’a expliqué lors de l’annonce de l’abandon de l’aéroport. « Les terres retrouveront leur vocation agricole », a-t-il ajouté et « l’État engagera une cession progressive du foncier de Notre-Dame-des-Landes ».

Et celle du mouvement contre l’aéroport qui souhaite régulariser un système de gestion collective des terres, appuyé sur une délégation par l’État qui garderait la maîtrise du foncier, comme cela s’est passé au Larzac en 1985. De son côté, la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique pousse pour une réintégration des hectares sauvés du bétonnage au circuit classique.

Les 1 650 hectares de la ZAD appartiennent à l’État qui en a concédé l’usage à Vinci, pour y construire l’aéroport, en 2010. Concrètement, environ 450 hectares y sont cultivés par les familles des paysans résistants qui ont refusé de vendre leurs terres à la multinationale et ont été condamnées à en être expulsées en janvier 2016 (retrouver ici nos articles à ce sujet). 850 hectares, soit près de la moitié de la zone, ont été redistribués par Vinci aux agriculteurs qui, eux, ont cédé leurs terres à l’amiable. Ils ont bénéficié d’une indemnisation financière, d’une compensation en terre en dehors de la zone et de baux précaires qui leur permettent d’utiliser des champs de la ZAD, évitant ainsi qu’ils ne partent en friches, plus difficiles à débroussailler. C’est la raison pour laquelle les opposant·e·s à l’aéroport les considèrent comme des « cumulards ». Mais depuis 2012, le mouvement anti-aéroport a décidé de reprendre une partie de ces terrains en les occupant. Début 2018, environ 270 hectares de la ZAD sont ainsi cultivés collectivement par le mouvement. On y trouve des champs de céréales, du maraîchage, de l’apiculture. Enfin, les 400 hectares restants sont couverts de bois, friches et haies, autant d’espaces dont les habitant·e·s ont pris en charge l’entretien.

Carte des parcelles agricoles de la ZAD en avril 2015 (cliquer sur la carte pour l'agrandir). © DR Carte des parcelles agricoles de la ZAD en avril 2015 (cliquer sur la carte pour l’agrandir). © DR

Le mouvement d’occupation travaille parmi d’autres options sur le scénario d’un bail emphytéotique, un bail foncier à très longue durée qui permet au preneur de sous-louer des parcelles à des locataires. Le titulaire pourrait en être une entité juridique issue de l’assemblée des usages, qui regroupe les composantes du mouvement : zadistes, ACIPA, COPAINS, élus contre l’aéroport, naturalistes en lutte, et la Coordination qui regroupe une soixantaine d’associations et syndicats. Ils partagent une vision commune : « Les six points pour l’avenir de la ZAD », un texte rédigé en 2013, quelques mois après l’échec de l’évacuation. Il énonce plusieurs principes fondateurs de l’avenir de la zone : que tous les habitant·e·s actuel·le·s de la zone puissent y rester, que les agriculteurs retrouvent leurs droits, les anciens propriétaires et locataires qui ont subi l’expropriation et ont refusé les indemnisations aussi. Que les terres soient prises en charge par une entité issue de la lutte, et qu’elles servent à des installations agricoles ou non, officielles ou hors cadre, mais pas à l’agrandissement des exploitations existantes. Et que les formes d’habitat, de vie et de lutte créées sur ce territoire puissent se poursuivre. Le mouvement souhaite qu’un gel de deux ans soit respecté avant de distribuer les terres.

« Le texte des six points est notre base »

Malgré son ton ferme, la position énoncée par Édouard Philippe aménage en réalité un cadre de discussion : « À l’expiration de la trêve hivernale, l’ensemble des occupants sans titre, présents illégalement sur le terrain, devront avoir quitté les lieux, soit volontairement, soit parce qu’ils auront été expulsés », a-t-il déclaré sur TF1 le 17 octobre.

Jusqu’au 31 mars la question devient ainsi : quels habitants, quelles activités peuvent-elles être régularisées avant l’expiration de la trêve hivernale ? Pour le ministère de la transition écologique, les situations seront étudiées au cas par cas. Une grande majorité d’entre elles devraient être réglées au 31 mars, estime-t-on dans l’entourage de Nicolas Hulot. Des échanges ont lieu en coulisse avec son cabinet mais c’est la préfecture de Loire-Atlantique qui est en première ligne. Un coordinateur doit être nommé pour assurer les discussions avec le mouvement d’occupation.

L’eurodéputé José Bové, ancien du Larzac et toujours membre actif de la société créée en 1985 pour en gérer collectivement les terres (la SCTL) ainsi que le député LREM Matthieu Orphelin, très actifs avant l’annonce d’abandon de l’aéroport, continuent de parler aux un·e·s et aux autres afin d’aboutir à une situation pacifique. L’objectif est que le plus grand nombre de personnes et de collectifs soient régularisés au 31 mars. Cela pourrait passer par un ensemble de critères à définir : assurances en règle pour les lieux de vie, notamment contre le risque incendie. Cotisations sociales à jour, loyers, même modiques, acquittés. Déplacements de cabanes sur des terrains appartenant aux paysans historiques. Va aussi se poser la question du paiement de la taxe foncière et sur les ordures ménagères.

Sur la ZAD, on trouve plusieurs types d’habitat : maisons en dur,  cabanes, diverses formes d’autoconstruction. Les habitant·e·s se partagent souvent entre un lieu de couchage individuel et un lieu de vie collectif. La préservation de ces formes de vie va être un fort enjeu, comme l’amélioration des logements les plus inconfortables. La loi ALUR, votée en 2014, introduit la notion de résidence démontable comme forme permanente d’habitat, et pourrait ainsi offrir un cadre général de discussion. Certaines cabanes pourraient être déplacées pour dégager la voie de parcelles agricoles. Un travail de dentellière s’amorce, lieu par lieu, collectif par collectif. Il doit démarrer par une séquence de purge juridique, pour identifier les propriétaires de chaque parcelle occupée.

Le « hangar de l'avenir » dont la construction a débuté pendant la manifestation des bâtons en octobre 2016 © Yann Levy / Hans Lucas Le « hangar de l’avenir » dont la construction a débuté pendant la manifestation des bâtons en octobre 2016 © Yann Levy / Hans Lucas

« Il faut réussir à monter une délégation commune de discussion avec l’État, on ne veut pas y aller séparément, explique Cyril Bouligand, porte-parole de COPAINS, les paysan·ne·s contre l’aéroport. Le texte des six points est notre base mais il est assez large. Il y a plein de sujets à bosser pour convaincre l’État qu’on peut gérer ces terres. Que faire des habitations ? Comment éviter le mitage des terres sans passer par un plan local d’urbanisme ? Quels nouveaux types de projet va-t-on accepter sur la zone ? » Une nouvelle assemblée générale des usages doit se tenir mercredi 24 janvier.

Jeudi soir, au lendemain de l’abandon de l’aéroport, Marcel Thébault, qui exploite la ferme du Liminbout avec son épouse Sylvie, expliquait : « Ici, les gens n’ont pas les mêmes idées, pas les mêmes stratégies mais c’est ensemble qu’on gagne. » La ZAD a-t-elle un avenir ? « C’est un beau défi. Sur les usages communs, les choses peuvent bouger ici. Il y a ici des pistes vitales pour repenser notre monde qui part à vau-l’eau. C’est bien qu’on ait l’exemple du Larzac en tête, ça rend les discussions crédibles. Mais en tant qu’agriculteurs, on ne veut pas imposer une normalisation à tout le monde. Ceux qui ne font pas d’agriculture, ceux qui n’ont pas d’argent doivent pouvoir rester. »

« Une des premières victoires de la lutte historiquement, lorsque le périmètre de la zone d’aménagement a été dessiné en 1974, a été d’obtenir que de jeunes paysans puissent continuer à s’y installer pour éviter que le territoire ne se vide et meure », rappelle Geneviève Coiffard, militante chevronnée contre l’aéroport. Marcel et Sylvie Thébault, exploitants de la ferme du Liminbout, aujourd’hui considérés à juste titre comme des paysans historiques de la ZAD, s’y sont installées juste avant que le projet d’aéroport ne soit relancé par le gouvernement de Lionel Jospin. « Cette idée d’une terre à soigner, d’un territoire qu’il ne fallait pas abandonner a été présente très tôt. »

Marcel Thébault, paysan historique de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas Marcel Thébault, paysan historique de la ZAD. © Yann Levy / Hans Lucas

Pour Novitch, ancien habitant de l’est de la zone, aujourd’hui posé à la Noé verte où il plante avec d’autres un verger : « Ce n’est pas évident d’être victorieux. La ZAD sans l’aéroport et sans la route des chicanes sera-t-elle plus posée, moins vivante ? Ce ne sera plus la même chose sans la pression policière. C’était une zone à défendre. Elle peut devenir une Zone d’Autonomie Définitive. » À ses côtés, un jeune homme récemment arrivé prend soin de deux poneys qui pourraient aider au maraîchage du collectif : « Ce qui est idyllique ici, ce ne sont pas les paysages, c’est l’expérimentation. Dans quel autre endroit au monde tu peux changer plus de mille hectares de terres en squat ? Vivre en habitat léger, dans plein de communes en France, c’est compliqué. Ici, historiquement, le mouvement, le rapport de force, fait que c’est possible. »

À quelques dizaines de mètres, “gibier” – « tout en minuscule », précise-t-il –, déjà rencontré lors de notre reportage panoramique au printemps 2017, répare, avec son frère Max, une structure de hangar récupérée. Autour de lui s’étendent des parcelles de cultures collectives et particulières. Des choux-fleurs, des poireaux, des courges. Il vend des légumes au marché du village et à Nantes. Il a transformé un vélo en pompe pour arroser sa serre. La tempête a déchiré la structure. Il prévoit de la réparer car comme la dizaine d’habitant·e·s rencontrées par Mediapart dans les deux jours suivant l’annonce de l’abandon de l’aéroport, il compte bien rester sur la zone.

À la Noé verte, "gibier" avec son frère Max. © Yann Levy / Hans Lucas À la Noé verte, « gibier » avec son frère Max. © Yann Levy / Hans Lucas

Pour Sébastien, membre du groupe vaches de la ZAD, lui aussi interviewé l’année dernière : « Quand tu es paysan dans le cadre classique, tu t’endettes. Hors de question pour moi d’enrichir les banques. Je veux nourrir les gens. Continuer à bosser avec des bêtes qui ne sont pas vraiment à nous. Continuer à m’occuper du bocage. Partager les produits et les connaissances. Je place la solidarité en haut de notre échelle de valeurs. Continuer à faire des trucs ensemble avec les gens qui se sont battus ici depuis des années. » Zadistes paysans et agriculteurs historiques envisagent la construction d’un lieu de transformation du lait produit sur la zone pour en faire du fromage et du beurre. « On n’est pas normalisable. On est dans une forme de sécession ici par rapport à la constitution qui dit que la République est une et indivisible. Est-on ici dans une République à part ? A-t-on le droit dans la nation d’avoir des bulles d’air où ça ne se passe pas comme ailleurs ? Ça me paraît vital pour sortir de l’individualisme et donner plus de sens à ce qu’on fait. Ce que je fais ici, ce n’est pas de l’utopie, c’est de la lucidité. Ce n’est pas un discours, c’est ma vie. L’abandon de l’aéroport est vraiment une victoire sociale et écologique. Mais le combat continue. »

« Dans les luttes, il faut des réponses adaptées »

Ces témoignages indiquent à quel point la bataille pour la ZAD ne se résume pas à un enjeu de préservation des terres agricoles. C’est surtout une lutte pour les communs. On arrache à la propriété privée et à la logique du profit ce qui doit appartenir à tou·te·s et être soigné par le plus grand nombre. L’écosystème prospère quand il est pris en charge collectivement. Cette attitude active et partageuse transforme aussi celui qui en prend soin. C’est une version autonome des communs, au sens politique du terme, et cela en fait une expérience unique en France à cette échelle. Autogérer élevage bovin et maraîchage, production de bois, de semences et de bière, la construction de hangars, ou l’utilisation d’une bibliothèque, change tout. On ne délègue pas, on fait par soi-même. On en est pleinement responsable. C’est une expérience empirique de liberté, de limites assumées, de sortie du capitalisme.

La vie sur la ZAD est souvent dure, pleine de contraintes et de conflits. Mais elle a donné naissance à une véritable commune rurale où se réinventent les rapports entre humains et avec la nature. Une alternative à un système économique défaillant, producteur de chômage et d’inégalités. Et une critique à l’œuvre de la domination patriarcale, du racisme systémique, du pouvoir de l’argent et de la réussite sociale. Cette créativité radicale, qui repense tout par la racine, n’est pas soluble dans l’agriculture certifiée biologique.

« Ceux qui n’ont pas de titre de propriété seront expulsés », a indiqué le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux sur France Inter le 18 janvier.

Mais en Loire-Atlantique, peu de paysans sont propriétaires de leurs parcelles. La plupart travaillent en fermage, en signant des baux avec un propriétaire. Ce système distingue la propriété de l’usage et crée ainsi une plus grande souplesse dans la distribution du foncier, tout en facilitant l’accès des jeunes. « Pour nous, la première chose serait d’obtenir le gel de l’attribution des terres car si elles repartent tout de suite dans le circuit classique via les CDOA [commission départementale d’orientation de l’agriculture], elles serviront à l’agrandissement de fermes existantes, les projets d’installation ne seront pas prêts », explique Cyril Bouligand. Dans le 44, environ 2 000 paysans quittent leur activité chaque année contre 500 installations, selon l’estimation de COPAINS.

Une serre mise en place par "gibier" sur la Noé verte. © Yann Levy / Hans Lucas Une serre mise en place par « gibier » sur la Noé verte. © Yann Levy / Hans Lucas

La réserve foncière de la ZAD doit être pour eux l’occasion de sortir du schéma classique de gestion des terres pour arrêter cette hémorragie. Certains propriétaires contre l’aéroport ont été expropriés, et ont refusé de toucher l’argent qui a été placé à la Caisse des dépôts. Ils pourraient retrouver leurs terres s’ils le souhaitent. Le sort de ceux qui ont signé à l’amiable avec Vinci semble plus incertain. Les habitant·e·s de la ZAD deviendront-ils des villageois comme les autres ? Cette perspective paraît encore bien lointaine tant la zone est un creuset d’alternatives sans concession. Martelée par une partie des médias et de la classe politique, la distinction entre « gentils » zadistes paysans et « méchants » black blocs ne fait aucun sens.

Tou·te·s partagent un projet commun : vivre sans État, sans police, sans prison. Entre les un·e·s et les autres, les tactiques politiques peuvent être diverses mais portées par les mêmes personnes en fonction de la situation. « Je me réclame à titre personnel de la non-violence car elle est efficace dans la construction d’un rapport de force très large et parce que philosophiquement je pense que la fin est dans les moyens, explique Geneviève Coiffard, 71 ans, pilier du mouvement contre l’aéroport. Dans le monde qu’on veut construire, on ne se tape pas la gueule. Mais l’année dernière, quand la ZAD risquait de se faire évacuer, on ne faisait pas face à un maintien de l’ordre clair mais à une armée impérialiste voulant conquérir et détruire le territoire. Dans ce contexte, les actes de résistance ne sont pas les mêmes que lors d’une manif classique. À ce moment-là, je ne condamnais pas les actes que cela aurait pu entraîner. Dans les luttes, il faut des réponses adaptées. »

La question de la violence pourrait cependant se reposer à partir de la fin mars. L’ultimatum lancé par le premier ministre laisse certes des portes largement ouvertes pour une résolution pacifiée, mais l’exécutif devra aussi compter sur la pression politique et policière.

D’abord, les gendarmes ont fort mal vécu l’interruption brutale de l’opération César, en 2012, à la demande du premier ministre Jean-Marc Ayrault. Les gendarmes sur place et les gradés étaient persuadés de pouvoir mener à son terme l’évacuation de la ZAD. Alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls raconte encore aujourd’hui avec amertume comment lui-même a découvert l’interruption de l’opération, par l’intermédiaire de son chef de cabinet. Toutes les déclarations plus va-t-en-guerre les unes que les autres ces trois derniers mois dans les médias montrent un désir de « match retour » de la part des forces de l’ordre.

Une évacuation suivie de la construction de l’aéroport était très compliquée à planifier du fait de plusieurs contraintes, notamment celles imposées par les cinq espèces protégées, dont les tritons, que l’on trouve sur NDDL. Chacune de ces espèces ne pouvant pas être déplacée à certaines périodes de l’année… Avec l’abandon du projet de l’aéroport, l’intervention est désormais possible n’importe quand. Avec une dernière contrainte : NDDL étant un bocage, le beau temps est préférable à une opération de maintien de l’ordre de grande envergure, ce qui peut expliquer que le gouvernement privilégie le printemps. Autre contrainte : certaines expulsions nécessiteraient une décision de justice, a rappelé lundi Françoise Verchère, ancienne maire de Bouguenais – la ville proche de l’actuel aéroport – et porte-parole des élus du Cédpa.

Les bâtons plantés le 8 octobre 2016, à l'occasion d'une manifestation sur la ZAD, sont toujours là un an plus tard. © Yann Levy / Hans Lucas Les bâtons plantés le 8 octobre 2016, à l’occasion d’une manifestation sur la ZAD, sont toujours là un an plus tard. © Yann Levy / Hans Lucas

Les zadistes auraient des sources au sein de la préfecture du 44. « Ils sauront la date de l’expulsion », est persuadée une source au ministère de l’intérieur. Selon un membre des services de renseignements, « toute la question va être de savoir comment va réagir le mouvement, lui-même tiraillé par différentes tendances. Jusqu’ici, les zadistes ont toujours su taire leurs divergences internes et fonctionner en bloc. Là, ça sera l’instant de vérité. S’ils restent unis, ils peuvent nous entraîner dans un conflit total. Eux aussi sont à la croisée des chemins. Ça peut être douloureux pour tout le monde. »

 

« Il faut arrêter de dire que ce sera le Vietnam ! Il n’y a pas de kalachnikovs à NDDL. Une kalachnikov, on sait ce que cela fait. Cela fait Charlie Hebdo, cela fait le Bataclan. Ici, il y a des cartouches de chasse qui explosent sur les barricades, des pièges avec des clous de charpentier. C’est ennuyeux, c’est dangereux pour nos forces de l’ordre. Mais il ne faut pas fantasmer : les zadistes n’ont pas d’armes de guerre. Sur la ZAD, les engins explosifs se sont toujours révélés factices », tempère un autre officier du renseignement. Lequel précise : « Des zadistes très violents, il y en a mais c’est vraiment un petit noyau. On les connaît. Ils seront rejoints tous les week-ends par des gens venus pour casser du policier. Pour le reste, la communauté des zadistes est très disparate. Par exemple, à l’est de la ZAD, il y a les primitivistes, radicaux dans leur idéologie mais pas forcément violents. »

D’autant que le pouvoir table visiblement sur un départ volontaire des zadistes les plus radicaux vers d’autres territoires en lutte. Bure (Meuse), où devrait être construit un complexe d’enfouissement des déchets nucléaires, est régulièrement cité. Dès lors que la plupart des zadistes seraient de fait légalisés au printemps, le pouvoir pourrait privilégier les opérations plus ciblées s’il restait des individus considérés comme hostiles. La stratégie du traitement différencié se fera à partir des notes blanches des services de renseignement. Le week-end dernier, des occupant·e·s ont déjà dû faire face à des contrôles routiers relativement ciblés : arrêt de certains véhicules, fouille consciencieuse et longue vérification de l’identité. Des personnes disent avoir été contrôlées plusieurs fois dans la même journée de vendredi dernier. Un homme s’est fait saisir un couteau et du cannabis. La préfecture a en outre pris plusieurs arrêtés d’interdiction de transport de substances dangereuses.

Dans l'espace presse de La Rolandière. © Yann Levy / Hans Lucas Dans l’espace presse de La Rolandière. © Yann Levy / Hans Lucas

Le rassemblement du 10 février, au lendemain de l’expiration de la déclaration d’utilité publique du défunt aéroport, s’intitule « Enracinons l’avenir ». Il aura sans doute valeur de test pour le gouvernement. Maintenant que l’aérogare est abandonnée, il donnera une indication du niveau de soutien du reste de la société à la ZAD.

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Zad will survive

 Publié le 8 février 2018  

Ce texte, issu d’une partie des collectifs d’habitant-e-s, revient sur les pièges de la victoire et présente des pistes pour l’avenir de la zad. La version papier, distribuée au rassemblement du 10 février, est disponible en pdf ci-dessous.

Ne pas laisser la victoire…

« Il n’y aura pas d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes », disions-nous souvent, pour démontrer notre entêtement, pour en faire une prophétie. Le 17 janvier, cet énoncé a été inscrit en lettres capitales dans un pays entier. C’est maintenant une phrase toute bête, mais qui signe un fait historique d’une ampleur inégalée ces 40 dernières années : la première grande victoire politique de toute une génération. Il aura fallu remonter à la lutte des paysans du Larzac pour lui trouver un équivalent, tant notre présent en est avare. Et c’est un mauvais comparant, puisqu’ici, c’est contre une succession de gouvernements hostiles que nous l’avons emporté, sans qu’aucun candidat n’inscrive l’abandon dans son programme. Sans excès de pacifisme, également, ce que n’ont pas manqué de souligner les chroniqueurs s’en référant au statut emblématique de zone de « non-droit » de la zad et à sa défense acharnée en 2012. Il serait erroné de croire que seules les pierres et les barricades ont permis de gagner. Pourtant c’est bien leur usage qui a rendu la décision d’abandon à la fois aussi impérieuse et aussi dure à avaler pour Macron. « Céder la zad aux radicaux », voilà ce que les éditorialistes ont reproché au Président, occultant le fait qu’un mouvement de lutte dans son entier ait bataillé un demi-siècle durant en usant de toutes les formes de résistance légales ou illégales. Pour éviter l’humiliation, l’État a donc monté une pièce de théâtre un peu branlante : une médiation, d’abord, puis une foule de réunions avec les élus locaux, et enfin le mime d’une expulsion avortée, pour faire oublier ses menaces, ses renoncements, ses reniements, pour étouffer le « oui » vainqueur à la consultation de 2016, bref le caractère scandaleux d’une telle déculottée. Malgré tous ces efforts, la victoire scintille au milieu des ordures médiatiques et politiciennes. « Et toc ! »

Ce que ces mots font de bien dans une époque où tout nous porte à croire qu’il est vain de se battre, chacun peut le sentir. Leur insolence est proportionnelle à la pression constante pesant sur le bocage depuis presque une décennie, ou au sein des manifestations de rue dans les villes de France. Le 17 janvier, des messages nous sont parvenus de toute l’Europe, tant l’expérience de la zad est emblématique, du fait de sa durée, de sa consistance, de sa capacité d’agrégation et de son audace. Mais ce qui nous toucha plus encore, ce furent les accolades que nous donnèrent les anciens sous le hangar de la Vacherit, celles et ceux qui avaient gagné au Pellerin, au Carnet, à Plogoff et qui levaient leurs verres au retour de cette saine peur des notables de ne plus pouvoir mener leurs grands projets dans ce pays.

…au bord de la route

Pourtant, il n’est pas simple de gagner. D’autant que dans une volonté de revanche quasi unanime, journalistes, élus et entrepreneurs s’accordaient à dire que si l’État devait abandonner ce projet d’aéroport, il fallait au moins que cela permette dans la foulée de se débarrasser des « zadistes ». Il s’agissait alors d’appuyer sur ce qui aurait pu enfin isoler les occupants illégaux de leurs voisins, de leurs camarades paysans, naturalistes et syndicalistes. Ainsi, la Préfecture nous a-t-elle enjoints de démonter tout ce qui obstruait la D281, sous peine d’une intervention policière immédiate dont le périmètre demeurait délibérément flou. Les gardes mobiles étaient stationnés dans les environs, contrôlant les véhicules dans les bourgs jouxtant la zad. Cette injonction avait des accents pour le moins cocasses, puisque c’est la même Préfecture, en 2013, qui avait fermé cet axe, rouvert immédiatement par le mouvement. Mais cette route n’est pas simplement un axe, c’est un symbole. Chargé de notre histoire avec ses fameuses chicanes à la fois poétiques et chaotiques, ses dessins meulés dans le goudron, ses ronces qui regagnent sur le bitume, ses usages improbables…et les désaccords qu’elle engendrait cycliquement entre nous. Car si elle était ouverte à la circulation, elle n’était pas toujours facile à emprunter, notamment pour les paysans qui peinaient parfois à y faire passer leurs machines agricoles. Elle générait également angoisses et rancœurs de la part de nombre de nos voisins, du fait de comportements parfois hostiles de certains barricadiers, et beaucoup se sont résignés à ne plus l’emprunter. Une fois l’abandon prononcé, il devenait impossible de continuer à défendre avec force les chicanes de la route alors que les villageois se prononçaient pour son ouverture totale et qu’une partie très importante du mouvement estimait ce geste nécessaire afin d’être en position de maintenir une lutte pour l’avenir de la zad. L’État a donc tenté de jouer sur ce point de discorde pour ne pas totalement perdre la face. Nous étions alors nombreux à nous dire que si nous ne rouvrions pas la route, l’intervention promise était fort probable. Elle aurait offert au gouvernement le récit dont il rêvait : les fameux « 50 radicaux » dont la presse faisait ses choux gras, à côté des barricades, coupés du reste du mouvement qui refusait de s’engager à ce sujet. Cela aurait pu ensuite servir de tremplin à des arrestations ou à l’expulsion de certains habitats. Dans les jours qui ont suivi l’abandon, le déblayage de la D281 est devenu le point nodal autour duquel se jouerait l’éclatement définitif du mouvement ou la possibilité de le voir croître et perdurer au-delà du 17 janvier. Devait-on prendre le risque de tout perdre – l’expérience de la zad, une défense unie des lieux occupés, un avenir commun avec les autres composantes – pour un symbole ? Nous avons en assemblée décidé que non, sans possibilité pour cette fois de parvenir à un consensus. Certains ont très mal pris cette résolution, et il a fallu de longues discussions, tournant souvent à la franche engueulade, pour finalement démonter les deux cabanes construites sur la route. L’une d’elles est en reconstruction dans un champ bordant la D281. Mais les tensions autour de la route et des travaux de réfection subsistent.

Il importe pourtant pour l’avenir immédiat que ce démontage ait été l’occasion de renouveler une promesse solennelle prononcée par toutes les composantes : si nous étions à nouveau en danger imminent d’expulsion, tous s’engagent à venir rebarricader les routes qui mènent à la zad. Et cela aussi souvent que nécessaire. C’est ainsi que le mouvement répond par le haut à la fois à ses dissensus internes et au pouvoir, pour qui la D281 peut servir à son tour de symbole pour énoncer un « retour à l’ordre ». Symbole factice car la zone est toujours occupée, mais leurre suffisant pour que l’État accepte l’ouverture de négociations sur l’avenir des lieux. En ce qui nous concerne, nous retenons de cet épisode difficile une démonstration supplémentaire de la volonté de ceux qui ne sont pas occupants de s’engager pour continuer avec nous après l’abandon. Ce n’était pas une évidence à l’heure où l’objectif initial de certains avait été atteint. Ce l’est d’autant moins quand les relations humaines se crispent durement. Mais la continuité de la présence de ces camarades marque, plus que jamais, le désir de futur commun. Ce désir autrefois improbable a pris corps au cours des années de danger et de défis partagés, de chantiers et de fêtes. Autant d’expériences sensibles qui ont bouleversé les prêts-à-penser politiques et les frontières de chaque composante. Autant de refus de se résigner à un simple retour à la normale. Cependant, il ne faut pas considérer ce désir de continuer au-delà de l’aéroport comme un acquis, mais comme un équilibre fragile dont nous devons prendre soin, car c’est lui qui alimentera maintenant la lutte.

Foncier droit devant nous

Bien que nous ne soyons pas habitués à vaincre, nous ne sommes pas pris de court par la victoire contre l’aéroport. Nous avions eu il y a des années déjà une intuition fondamentale : une victoire, cela se construit. Ainsi, bien qu’elle ait constitué une forme de rupture, ce qu’elle met en branle avait été réfléchi par le mouvement dès l’issue de l’opération César. Nous n’avons pas à inventer dans l’urgence ce que nous voulons arracher, le texte des « six points pour l’avenir de la zad » l’avait énoncé dès 2015. C’était un glissement fondamental : d’une lutte contre un projet, nous passions lentement à une lutte pour pérenniser et amplifier ce que nous avions édifié sur ce territoire au travers du combat. Et depuis le 17 janvier, c’est l’horizon commun que nous partageons.

Pour y parvenir, nous pouvons désormais nous appuyer sur la légitimité que nous venons d’acquérir : il a été admis que nous avions raison. De nombreuses conséquences en découlent. Par exemple, la défense inconditionnelle de l’amnistie pour tous les inculpés du mouvement anti-aéroport. Mais aussi et surtout un principe simple : celles et ceux qui ont permis que ce territoire ne soit pas détruit sont les plus à même de le prendre en charge.

La fin de la Déclaration d’Utilité Publique le 9 février bouleverse le statut des terres de la zad. Sur les 1650 hectares de l’emprise aéroportuaire, 450 sont cultivés de longue date par les paysannes et paysans résistants qui entendent bien retrouver leurs droits. 270 ont été arrachés à la gestion de la Chambre d’agriculture par le mouvement pour y mener des expériences agricoles collectives. Et 530 hectares de terres sont toujours redistribués temporairement aux agriculteurs qui ont signé un accord amiable avec Vinci. À ce titre, ceux-ci avaient touché des compensations financières et obtenu pour certains des parcelles en dehors de la zone. Pourtant, ils continuent à exploiter et à percevoir la PAC sur ces terres qu’ils ont cédées à Vinci, touchant ainsi le beurre et l’argent du beurre. Les plus avides pourraient dorénavant revendiquer la priorité sur de futurs baux et profiter des terres sauvées de haute lutte par le mouvement pour agrandir leur exploitation. Par ailleurs, les anciens propriétaires en lutte qui ont refusé tout accord avec Vinci pourront retrouver leurs biens expropriés et choisir de leur redonner un usage classique, ou plus collectif en les faisant entrer dans une entité foncière commune. La bataille pour les terres se place donc au cœur de la lutte pour les mois voire les années à venir.

Car si la surface de la zad se trouvait par trop morcelée, la conséquence pourrait être la fin progressive de la force commune qui bouillonne ici, pour faire place à une somme éclatée d’individus ou de groupes poursuivant chacun des objectifs propres. On imagine que les plus isolés pourraient être expulsés, et que d’autres seraient acculés à rentrer petit à petit dans les cadres économiques que la zad a si bien su faire exploser jusqu’ici. Une portion importante des terres pourrait repartir à des formes d’agriculture productivistes et peu soucieuses de l’adéquation qui s’est trouvée ici entre les activités humaines et le soin du bocage. Et ce sont bien sûr les institutions agricoles classiques qui les reprendraient en main. C’est pourquoi dès ce printemps nous devrons continuer à occuper de nouveaux terrains et à y installer des projets à même de rabattre la convoitise des « cumulards » et l’arrogance des gouvernants qui menacent d’expulser des lieux de vie dès le 1er avril.

C’est pourquoi nous avons également l’ambition de faire entrer les terres de la zad dans une entité issue du mouvement de lutte. La décision consistant à lui donner une forme légale est l’aboutissement de discussions entre les composantes et l’assemblée. C’était le choix que nous pouvions assumer tous ensemble, en conciliant les objectifs des uns et des autres, et donc en maintenant un rapport de force dans le futur. Cette entité viserait à englober le fourmillement de la zad pour en maintenir la richesse, véritable manteau sous lequel les marges d’invention et de liberté pourraient continuer à se développer. Elle ne serait qu’une forme, la plus cohérente possible bien sûr avec nos désirs. L’essentiel résidera encore et toujours dans la manière dont on habite à la fois cette forme et ce territoire.

Ce choix de se diriger vers une assise légale a été pour beaucoup ici contre-intuitif, remuant au plus profond les prérequis politiques d’une bonne partie des occupants. Il nous a obligés à nous demander sérieusement ce à quoi on tenait. À nous demander ce qui permettrait encore à l’avenir d’assurer la pérennité de toutes les activités et de tous les lieux de vie. Nous sommes certains que ces questions complexes ne se résolvent pas par des diatribes défiantes sur la trahison supposée des uns ou des autres et par un fatalisme radical sur des lendemains aseptisés. Nous ne pouvons nous satisfaire des prophéties auto-réalisatrices qui prédisent que les expériences de commune libre finissent à tout coup écrasées ou réintégrées. Nous pensons au contraire qu’il s’agit, dans ce moment de basculement, de discerner ce qui permettra au mieux une fidélité aux promesses que l’on s’est faites pas à pas sur l’avenir. Le pari en cours est loin d’être encore gagné. Il nécessite une confiance inouïe entre nous, entre les composantes, les personnes. Confiance dans nos buts, dans nos pratiques, et dans le respect que chacun leur porte. Une telle confiance est un fait rare de nos jours.

Nous sommes bien conscients du fait que toute légalisation comprend bien évidemment des risques de normalisation. Mais ce que l’on envisage prend plutôt le chemin inverse : créer des précédents qui continuent à repousser le seuil de ce que les institutions peuvent accepter. En espérant que ces coins enfoncés dans la rigidité du droit français servent à bien d’autres que nous à l’avenir. C’est parce que nous croyons en cette hypothèse que nous avons décidé d’aller défendre notre vision de l’avenir de la zad face à l’État au sein d’une délégation commune regroupant toutes les composantes. Ceci plutôt que de laisser place à des tractations séparées qui pousseraient ceux qui s’y prêteraient à la défense d’intérêts singuliers et donc parfois clivants. Cette délégation sera l’émanation des assemblées du mouvement, qui continueront, parallèlement, à mener les actions nécessaires pour arracher ce que les négociations n’assureraient pas.

Des usages assemblés

Le poêle soudé dans un chauffe-eau ne parvient pas à tiédir l’atmosphère de la grande salle de la Wardine. Il y a ici une centaine de personnes, qui dans un canapé, qui sur un banc. Derrière leur cercle tirant sur l’ovale, les murs entièrement recouverts de peintures renvoient à une ambiance plus proche du concert punk que de la réunion. La petite foule est bigarrée, en âge, en style, en mode de vie. Une paysanne prend la parole. Sa ferme se situe à une trentaine de kilomètres de la zad, pourtant, lorsqu’elle évoque ces 1650 hectares, on pourrait croire qu’elle y est née et qu’elle compte y finir sa vie. C’est comme ça qu’elle en parle, c’est à ce point qu’elle y tient.

On dit souvent « le territoire appartient à ceux qui y vivent », pour marquer une rupture avec les velléités technocratiques de l’État. Ici, c’est bien plus que ça. Il appartient à un mouvement, non par la propriété, mais par le combat. Et depuis l’abandon, la salle de l’assemblée est toujours aussi pleine, remplie de ces gens qui formeront le cœur non pas juridique, mais réel, de l’entité que nous appelons de nos vœux et qui lutteront pour que les façons de vivre que l’on a bâties ici perdurent et s’approfondissent. Ces dernières reposent sur un type de partage pour le moins inhabituel de nos jours.

S’il existe en effet un endroit où la possession de capital n’est pas source d’orgueil et de valorisation, c’est bien cette zone. Beaucoup de choses y sont d’ailleurs gratuites, on peut utiliser des tracteurs, des outils ou des livres sans jamais mettre la main à la poche. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas comme partout circulation de monnaie. C’est son usage qui diffère, et son symbolisme : nous voudrions que payer ne soit pas le remboursement facile d’une absence d’implication dans le commun, un dédouanement. S’il y a un peu d’argent, donc, il y a par contre une lutte acharnée et quotidienne contre la logique économique qui voudrait que chaque geste entre dans un calcul de valeur. Nous tentons au contraire de lui substituer nos liens, nos attachements, la confiance et un certain sens de l’engagement. La réciprocité scrupuleuse n’est pas exigée, car les échanges ne sont pas pensés à l’échelle individuelle, mais à celle du territoire. Si le boulanger donne un pain à une personne du zad social rap, il ne calcule pas à combien de couplets se chiffre sa farine. La première ligne de comptabilité des services rendus n’a pas encore été écrite. Évidemment, rien ne nous garantit que tous jouent le jeu ; c’est à la fois un pari et une question d’équilibre. Le soin apporté à la qualité des relations et des perspectives communes conjure bien mieux l’économie que le bannissement du moindre euro…

C’est ainsi que l’on conçoit la production, mais aussi l’espace : les prés, les forêts, les fours à pain, les ateliers… Comme des communs. Cela ne veut pas dire que tout est indifféremment à tous. Celles et ceux qui ont construit, qui entretiennent ou utilisent régulièrement des espaces, s’y projetant pour plusieurs années, n’ont évidemment pas le même poids quand il s’agit de décider ce qui y adviendra. L’usage vient empêcher que le chaos ne prenne la place de la propriété. Parallèlement, le mouvement déploie son inventivité afin que les besoins des nouveaux venus désirant s’impliquer soient satisfaits. La bataille qui s’ouvre aujourd’hui n’est donc pas uniquement un combat pour les terres, pour le foncier, mais surtout pour faire vivre cette manière de les partager, et redonner ainsi un tout autre sens à l’idée de travail ou d’activité. Et ce faisant elle dépasse de loin les seuls 1650 hectares de la zad.

Demain, c’est pas loin

Il y a quelques mois, en passant le long du chemin de Suez, on pouvait entendre des chants résonner en Basque, en Breton, en Italien, en Occitan, en Polonais, et parfois même en Français. Ils émanaient du chantier de l’Ambazada, un double hangar destiné à devenir l’ambassade des luttes et des peuples du monde entier à la zad. Cette idée a vu le jour au sein du comité de soutien basque, qui a organisé des « brigades » venues nombreuses participer à la construction de l’édifice de concert avec des occupants. Des groupes pourront y passer quelques jours ou semaines, y parler de leurs combats, s’y organiser avec nous, tout en buvant un verre au bar. Nous pourrons y approfondir la coordination entre les luttes territoriales qui s’est formée l’an dernier, et ainsi être plus forts, nombreux et organisés partout où un projet menace une contrée.

Ces dernières semaines, nous entendons beaucoup parler d’une pacification de la zad, et de son avenir de « zone agricole alternative ». Il ne serait plus à l’ordre du jour de lutter ici puisqu’aéroport il n’y aura pas. D’autres disent que désormais, Notre-Dame-des-Landes pourrait devenir une base d’appui matérielle pour les autres luttes, puisque le front a disparu. Nous préférons quant à nous ne pas opposer front et base, car les deux sont ici intimement liés.

C’est la conjugaison des traditions offensives des paysans locaux et de l’assise de la zad qui ont permis d’assurer une production conséquente et de l’emmener sur les piquets de grève à Nantes. C’est encore cette hybridation qui portera son énergie jusqu’aux bois de Bure, au quartier libre des Lentillères, aux collines de Roybon ou sur le causse de Saint-Victor. De même, la force matérielle de la zad (menuiserie, meunerie, forge, conserverie, radio pirate, barnums, sonos, tractopelle et semences…) grossit et se constitue grâce à l’appui d’agriculteurs et salariés en lutte. C’est indémêlable, et c’est tant mieux. Car conserver et densifier ces liens-là nous met à l’abri d’un devenir agricole pacifié tout autant que d’une zone radicale à la marge. Ce sont bien encore et toujours la circulation et l’échange qui permettront à la zad de ne pas se refermer. Plus elle vit curieuse, accueillante et aventureuse et plus son territoire réel s’étend bien au-delà de son périmètre.

Sous les ardoises du hangar de l’avenir, à la nuit tombée, nous préparons la zbeulinette, une caravane dépliable contenant mille et un rangements de bois. Elle est désormais le véhicule de notre présence dans les luttes nantaises. Chargée de nourriture, de boisson, de musique et de livres, elle détone quelque peu au milieu des boulevards haussmanniens. Ce n’est pas une caravane de soutien, car nous sommes intrinsèquement pris dans la plupart des combats qu’elle approvisionne. Demain, c’est à l’université qu’elle ouvrira ses ailes. Sur le parking, dès l’aube, des groupes déplacent le matériel nécessaire à l’édification de barricades : un amphithéâtre de la faculté et le château du rectorat sont occupés par des étudiants et des mineurs sans papiers. Nous déployons notre attelage, ses tables et son système de son. Déjà, les dix billigs qu’elle cachait commencent à fumer dans l’air glacial. Les galettes de la zad ont une réputation qui date du mouvement contre la loi travail. Les jeunes s’approchent donc rapidement, en commentant le tour de main des crêpiers. Savent-ils ce qu’il a fallu de réparations de matériel agricole, de chantiers communs, de récoltes, de meuniers pour que cette farine se transforme en galettes ? Peu importe après tout, l’essentiel est que la faim s’apaise, que la chaleur pénètre les corps.

Il n’existe nulle part ailleurs dans le pays un espace tel que celui de la zad, regroupant autant de capacités matérielles tournées vers la lutte. Cœur d’une circulation réelle, il est aussi celui d’une circulation des idées et des imaginaires, des projections les plus folles. L’assise temporelle et matérielle qui manque tant à nos combats et que l’on pourrait enraciner ces prochains mois permettrait à la fois de donner une tout autre ampleur aux mille activités qui existent à la zad, et de concrétiser ces projections. Créer un hameau ouvrier avec nos camarades syndicalistes (respectant le style architectural de la zad !), rendre les habitats existants à la fois toujours plus commodes et loufoques, greffer des fruitiers dans toutes les haies du bocage, constituer un troupeau-école pour apprendre l’élevage, ouvrir un centre social, un centre de soin, une maison des anciens, agrandir la bibliothèque, construire un hammam, faire entrer des terres hors zad dans l’entité, rendre régional voire national le réseau de ravitaillement des luttes, se doter d’une imprimerie… La liste est longue de toutes les envies que nous inspirent ces quelques centaines d’hectares. Elle est ouverte également aux vôtres : les terres que nous allons occuper au printemps attendent des installations, qu’elles soient ou non agricoles.

Il nous est difficile de mesurer aujourd’hui tous les bouleversements que l’abandon va engendrer. Une saison vient de se finir sans que l’on ait encore basculé dans la suivante. Ce temps nouveau, nous devons l’arracher, le construire, l’inventer. Tout est ouvert encore. Et c’est avec nos rêves qu’on façonnera ces métamorphoses.

Des habitant.e.s des lieux suivants : le Moulin de Rohanne, la Rolandière, les 100 noms, la Hulotte, Saint-Jean du Tertre, les Fosses noires, la Baraka et Nantes réunis dans le CMDO (Conseil pour le Maintien Des Occupations)

Rendez-vous le 31 mars en cas de menaces d’expulsion et au printemps pour se projeter sur de nouvelles terres !

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