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A Rennes, les interdictions de manifester pleuvent [Mediapart 12 octobre 2016]

Mediapart 12 octobre 2016 | Par Karl Laske

Entre les arrêtés préfectoraux et les contrôles judiciaires, près d’une cinquantaine d’opposants à la loi sur le travail sont désormais interdits de séjour au centre-ville les jours de manifestation. Les auteurs de tags ou de dégradations mineures ont été ciblés. Certaines mesures d’interdiction sont élargies aux rassemblements contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

À chacun son enveloppe. À Rennes, l’État a débloqué 600 000 euros pour dédommager les commerçants du centre-ville dont le chiffre d’affaires a été défavorablement impacté par les manifestations des opposants à la loi sur le travail – une « première », selon la maire socialiste Nathalie Appéré ; tandis qu’en ville, les policiers tournent à la recherche du lieu de résidence des opposants, pour leur remettre sous enveloppe de nouvelles interdictions de manifester prises par le préfet. D’importants moyens ont été engagés par le parquet pour identifier et cibler les auteurs de tags ou de dégradations survenues au printemps. Et plusieurs opérations de police ont été conduites, en septembre, afin d’interpeller des militants.

Entre les arrêtés préfectoraux et les contrôles judiciaires consécutifs aux poursuites engagées en marge des manifestations, près d’une cinquantaine d’opposants à la loi sur le travail sont désormais interdits de séjour au centre-ville en cas de manifestation. Pour faire bonne mesure, ces interdictions comprennent les rassemblements contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Fin mai, le procureur de la République, Nicolas Jacquet, s’est illustré en poursuivant pour « association de malfaiteurs » les jeunes auteurs des dégradations des bornes de compostage du métro, lors d’une journée d’action contre la loi sur le travail, et en requérant le placement en détention de 18 d’entre eux. Il s’appuyait notamment sur un rapport de police fumeux, intitulé Éléments d’information sur les membres de l’extrême gauche rennaise. Concomitamment, le vice-président du tribunal, Nicolas Léger, a ordonné la détention provisoire de quatre jeunes étudiants sans casier, après une bagarre sans gravité survenue dans un restaurant Bagelstein.

Des arrêtés pris en septembre par le préfet d’Ille-et-Vilaine Christophe Mirmand prouvent que la police a continué son travail de renseignement durant l’été, sous le contrôle du parquet, afin de neutraliser plus de militants. Le 14 septembre, une opération de police dans un appartement en colocation a visé trois d’entre eux. « Vers seize heures, la police a bloqué la rue, avec trois fourgons et quatre voitures, et ils sont entrés dans l’appartement avec un bélier et un bouclier, raconte un proche. Il y avait cinq, six enfants de 2 à 4 ans à la maison. »

Placé en garde à vue, François se voit reprocher « d’avoir inséré de la mousse expansive » dans une borne de compostage du métro, le 31 mai. Il a été identifié par la police, près de quatre mois après les faits, sur la base de photos extraites de films de vidéosurveillance. La police lui reproche aussi d’avoir « pénétré sans autorisation dans un espace affecté à la conduite d’un train »… le 22 juillet 2012. Une fraude dans le train, vieille de quatre ans, qui était restée sans suite. « Les policiers sont revenus deux jours plus tard avec une liste de pièces à trouver, poursuit le proche. Des vêtements, des sacs, des chaussures. Ils ont pris les chemises bleues. Un sac Quechua. »

Renvoyé au tribunal pour répondre de la dégradation d’une borne de compostage, François est placé sous contrôle judiciaire en attendant son procès, fixé le 22 novembre. Il doit se présenter une fois par semaine au commissariat et, surtout, « s’abstenir de participer à toute activité sociale ayant pour objet une manifestation publique » ! Autant dire à toute activité politique… comme l’un de ses amis, poursuivi pour des tags. « Je me pose la question de la proportionnalité des moyens engagés pour des infractions qui ne sont pas si graves que ça, souligne Me Delphine Caro, l’avocate de François. Si l’on commence à placer sous contrôle judiciaire tous ceux qui taguent en ville, la justice ne pourra pas suivre. »

Lors de son interpellation, les policiers remettent aussi à François une enveloppe contenant l’arrêté d’interdiction de séjour pris par le préfet Mirmand. Ce document mentionne encore d’autres faits retrouvés dans les archives des services de renseignement. Selon l’arrêté, François « s’est déjà illustré, dans le passé, par sa participation à des manifestations revendicatives violentes ». Ainsi, « il a été interpellé à Milan le 28 avril 2015 pour “occupation illégale d’un terrain” dans le cadre du dispositif de sécurisation de la ville de Milan (Italie) mis en place au regard de la forte mobilisation contestataire prévue à l’occasion de l’inauguration de l’exposition universelle le 1er mai 2015 ». Une interpellation pourtant restée sans suite.

L’arrêté du préfet prononce l’interdiction de séjour de François dans les rues du centre-ville de Rennes « les jours de manifestations contre la loi dite El Khomri, contre les violences policières, contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes », ainsi que « de paraître » sur l’itinéraire de cortèges formés depuis l’université de Rennes 2 sur les mêmes mots d’ordre. « La violation de cette interdiction est punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende », avertit le préfet. Les recours engagés contre ces arrêtés devant le tribunal administratif ont été rejetés au motif qu’aucune manifestation n’était prévue à la date de l’audience. En revanche, l’interdiction est prononcée pour une période qui s’étend jusqu’à la fin de l’état d’urgence, reconduit six mois jusqu’au 21 janvier prochain. Un nouveau rassemblement contre la loi sur le travail a été, depuis, annoncé le 18 octobre à Rennes.

Un autre militant, interpellé le 6 mai lors d’un blocage devant la société Keolis, qui exploite les réseaux de bus et métro rennais, s’est vu reprocher « un feu de palettes », « palettes qu’il avait dérobées le 5 mai dans le magasin Carrefour city du quartier Villejean ». Placé en garde à vue le 14 septembre, il est ressorti sans suite, mais un arrêté d’interdiction de séjour a été pris à son encontre : « Il convient d’écarter M. Frédéric E. des manifestations et rassemblements sur une partie du territoire de la commune de Rennes jusqu’à la fin de la période en cours de l’état d’urgence, en raison des troubles à l’ordre public que sa présence comporte », écrit le préfet Mirmand.

« Toutes les personnes mises en cause reçoivent des interdictions administratives », commente une militante. L’une de ses amies a été perquisitionnée et placée en garde à vue, début septembre, pour deux tags faits dans le métro, le 31 mai et le 23 juin. Elle a reçu, elle aussi, son interdiction de manifester. « Un autre camarade a été en garde à vue pour des tags et une fraude à un péage qui remontait à quelques années, poursuit-elle. La police lui reprochait des tags faits pendant la manif de la ZAD [la zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes – ndlr], le 6 février à Rennes, et d’autres faits lors de la manif du 23 juin. Ils lui ont dit : “C’est vous qui êtes déguisé en rhinocéros ?” Et ils lui ont présenté plein de photos de tags, en lui demandant lequel il avait fait… » Les militants ont, dans la plupart des cas, fait le choix de refuser de répondre à la police.

Des interdictions administratives ponctuelles ont aussi été remises. « Les visites de la police sont devenues très fréquentes, explique un militant. Tellement qu’il y a des techniques d’esquive. Quand les flics passent, on évite de dormir chez soi. Et avec la mobilisation qui s’annonce sur la ZAD, tout le monde essaie d’esquiver les interdictions administratives. » Il est arrivé qu’une patrouille de police fasse le tour des cafés pour remettre l’enveloppe d’interdiction à une militante.

Hélas, l’activisme de la préfecture et du parquet ne vaut pas lorsque les violences sont imputables aux forces de l’ordre. Le porte-parole de Solidaires 35, Serge Bourgin, frappé et menacé par des policiers de la BAC le 29 mai, en marge d’une manifestation, a été entendu à deux reprises en septembre par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Sur des images de France 3 et de TV Rennes, on voit le syndicaliste coincé entre deux voitures par des policiers, recevoir deux coups de poing puis des menaces d’un policier – sur TV Rennes, dans l’émission « Du Buzz et débat » du 31 mai (voir ici à 25 minutes). « J’ai été surpris par l’interrogatoire du policier de l’IGPN, qui m’a demandé pourquoi je portais un blouson de moto, et aussi des gants, explique Serge Bourgin à Mediapart. Il a prétendu que j’avais une attitude agressive, alors que les images sont très claires. » L’un des journalistes témoins de la scène, Thibault Boulais, journaliste à TV Rennes, a déclaré avoir « vu Serge Bourgin se faire maltraiter entre deux voitures. Ils lui disaient : “On veut plus te voir.” ». « Lui ne les avait pas provoqués, a-t-il ajouté. Il ne disait trop rien. » Quatre mois après les faits, le syndicaliste n’a pas été confronté à son agresseur. Mais pour le parquet, l’agression d’un syndicaliste par un policier est sûrement moins grave qu’un tag dans le métro de Rennes.

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Notre-Dame-des-Landes : des milliers d’opposants à l’aéroport défient le gouvernement

LE MONDE | 09.10.2016 à 03h37 • Mis à jour le 09.10.2016 à 14h02 | Par Rémi Barroux et Yan Gauchard (Nantes, correspondant)

A l’évidence, les opposants au projet d’aéroport semblent avoir gagné leur pari d’une forte mobilisation, samedi 8 octobre, sur la ZAD, leur « zone à défendre ». Combien étaient-ils ? Plus de 40 000 selon eux, 12 800 selon la police dont l’hélicoptère a survolé toute la journée les petites routes, au sud de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).

« Avec une journée comme celle-là, tous ces soutiens qui sont toujours là, les familles avec les poussettes, les jeunes, les vieux, on repart galvanisés », jubile Sylvain Fresneau, agriculteur et figure historique de la lutte. Seule ombre au tableau, l’agression contre leur voiture par des personnes cagoulées dénoncée par des journalistes de France 3. 

Après la consultation locale voulue par le président de la République, François Hollande, au cours de laquelle 55,17 % des votants se sont prononcés pour le transfert de l’actuel aéroport de Nantes Atlantique vers la nouvelle plate-forme du Grand Ouest en juin, il s’agissait de vérifier si le mouvement de solidarité était toujours fort.

De leur côté, les pro-aéroport ont mis en rapport le nombre de participants à la manifestation et le nombre de voix en faveur du transfert : « les habitants de la Loire-Atlantique ont été 260 000 à dire oui à NDDL », tweetait l’organisation Des Ailes pour l’Ouest, qui dénonce un « déni de démocratie ».

« Ce dossier est une aberration »

Alors que le premier ministre, Manuel Valls, a promis l’évacuation de la zone en octobre ou à l’automne, ses adversaires ont donc orchestré une nouvelle démonstration de force.

« Ce dossier, c’est une aberration, le symbole de ce que l’on ne veut plus pour notre société, énonce Marc (qui n’a pas souhaité donner son nom), menuisier de 54 ans, venu de Saint-Dolay (Morbihan). Il s’agit de l’un des derniers projets des trente glorieuses, époque où on se fichait des questions d’énergie, de climat. Ce modèle-là est dépassé. »

Quelques jours plus tôt, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, avait exprimé à nouveau son doute sur le projet, sur France 2. « L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été surdimensionné, sans doute pour des intérêts financiers, ou parce qu’il fallait justifier qu’il fallait déplacer cet aéroport. (…) Certains élus locaux ou lobbys se sont obstinés. On aurait dû prendre le temps de bien écouter ce qui se passait », a-t-elle notamment déclaré.

Les manifestants ont planté dans la terre du bocage les bâtons que les organisateurs leur avaient demandé d’apporter, pour un « chant du bâton », faisant le serment de venir le reprendre en cas d’irruption des gendarmes mobiles sur la ZAD.

Pour les plus anciens, habitués des manifestations contre l’aéroport, cela ne fait aucun doute, il y aura affrontement. « Notre-Dame-des-Landes, cela reste un combat qu’ils ne veulent pas perdre et que nous, nous voulons gagner », résume Sylvain Fresneau.

Du Larzac à Notre-Dame-des-Landes

Christian Roqueirol, éleveur de brebis venu avec une trentaine d’agriculteurs du Larzac, dans l’Aveyron, voit dans la lutte de Notre-Dame-des-Landes, « beaucoup de similitudes » avec son combat des années 1970.

« C’est une lutte paysanne contre un projet inutile, mais nous n’étions qu’une dizaine de squatters dans le Larzac au début, alors que là ils sont des centaines avec des dizaines de milliers de soutiens dans tout le pays, dit cet ancien responsable de la Confédération paysanne de 62 ans. Je pense qu’ils vont gagner, je ne vois pas comment le gouvernement peut les évacuer. Mitterrand avait compris et arrêté les projets d’extension du camp militaire du Larzac et de la centrale nucléaire de Plogoff [Finistère]. »

Agriculteur et responsable du réseau COPAIN 44 (Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport), Vincent Delabouglisse témoigne aussi de la forte mobilisation paysanne contre le projet d’aéroport et veut croire qu’il ne se fera pas.

« Il y aura une telle opposition en France que même s’ils arrivaient à vider la ZAD, ils ne pourraient pas tenir le terrain longtemps. Nous, on le connaît par cœur, tous les recoins, les chemins, on reconstruira toujours », dit ce responsable agricole qui promet deux cents tracteurs sur la zone dans l’heure qui suivrait l’intervention et plusieurs centaines de tracteurs pour bloquer des cibles dans tout le pays. « Tout est organisé, tout le monde sait déjà ce qu’il aura à faire », ajoute sereinement Vincent Delabouglisse.

« Droit de retrait »

Les syndicalistes CGT du groupe Vinci et ceux de l’aéroport de Nantes Atlantique savent aussi ce qu’ils feront en cas d’intervention et l’ont annoncé sous les applaudissements du public. « Nous nous préparons à bloquer l’aéroport s’ils viennent ici sur la ZAD », explique ainsi Tristan Leroy, responsable cégétiste. Francis Lemasson, de la CGT Vinci, prévient lui aussi : « Nous appelons tous les salariés qui seraient appelés à travailler sur le chantier à faire valoir leur droit de retrait, car ils seraient en danger, obligés de travailler sous la protection des gendarmes. »

Sur le stand du Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport, Françoise Verchère, la porte-parole, rencontre un vif succès. Elle explique à l’assistance comment envoyer des questions sur le Schéma de cohérence territoriale de la métropole Nantes Saint-Nazaire (SCOT), celui-là même qui doit permettre de répondre aux mises en demeure européennes, sur la présentation au public des impacts cumulés des différents projets, aéroport, dessertes, réseau ferré, etc. Parmi les questions : « Comment peut-on parler de bilan carbone neutre pour l’aéroport, où est le calcul précis ? » ; « Où plante-t-on les 100 000 arbres cités p. 48 [du document] ? »… »

Plus tard, dans la soirée, des milliers de personnes faisaient la fête sur la zone. Les zadistes ont demandé à un maximum de personnes de rester dimanche pour construire de nouvelles infrastructures pour renforcer les capacités d’accueil en cas de tentative d’évacuation de la zone par les gendarmes. Une hypothèse qui reste bien présente dans l’esprit des anti-aéroport.

Yan Gauchard (Nantes, correspondant)
Journaliste au Mond

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— On ne va pas tranquillement attendre notre tour ! — Appel du COMITéZAD de Rennes (octobre 2016)

On ne va pas tranquillement attendre
notre tour ! —

Appel du COMITéZAD de Rennes

Il y a différents territoires dont l’État Français ne peut tolérer l’existence sur son sol. Il s’agit de ces « zones de non-droit » où des humains vivent sans être répertoriés sur leurs registres. Zones où l’on se réfugie, où l’on échappe à la police et au béton. Zones qui sont un défi à leurs frontières et leurs projet d’aménagement du territoire. Zones où quelque chose existe qui n’est pas sous contrôle de l’État.

La « jungle » de Calais, la « zad » de NddL. Il peut paraître indécent de les mettre sur le même plan, de comparer le sort de leurs habitants respectifs. Ici n’est pas notre propos.

Ce que nous observons, c’est qu’aux yeux des administrateurs de l’ordre des choses, ces deux zones présentent un point commun immédiat : toutes les deux sont à expulser de toute urgence. Quelques sombres calculs inavouables semblent avoir placé l’expulsion de la « jungle » de Calais en position prioritaire — nous devinons quel électorat il s’agit de séduire. Si bien que la « zad » de NddL semblerait bénéficier d’un sursis inespéré… Maigre consolation.

Le gouvernement met un point d’honneur à expulser ces deux zones qui le mettent face à son impuissance et à l’aberration de sa politique. Que ce soit sur le plan migratoire ou écologique elle apparaît pour ce qu’elle est : une fantastique et terrifiante fuite en avant. Aucune rationalité, aucun humanisme ne justifient ces expulsions. Rien d’autre que le plus vil cynisme : le profit à court terme.

Mais en ces temps d’état d’urgence les ressources en forces policières sont bien épuisées, et ne peuvent assumer les deux interventions de front. Ils ont fait leur choix. D’abord Calais.

Nous n’allons pas rester les bras ballants et profiter de ce petit répit. Nous ne sommes pas des politiciens. Nous ne faisons pas de petits calculs cyniques sur la misère des autres.

Les flics sont usés, continuons le boulot. Le comité Zad de Rennes appelle à des actions décentralisées dans toutes nos villes, le jour même où ils reprennent les opérations d’expulsion. Que ce soit à la « Zad » ou à Calais ! Qu’ils sachent qu’ils auront à mobiliser deux fois plus d’effectifs s’ils espèrent encore pouvoir garder leur monde sous contrôle. Ceci est une menace.

Ceci est un appel. Soyons solidaires. Soyons conséquents.

Contre l’Aéroport
et son monde de frontières,
résolument !

A Rennes : Rdv manif 18h30 place Sainte Anne

le jour où ils commencent des opérations d’expulsion

à Calais ou NddL

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Lettre du Comité Zad Rennais (octobre 2016)

En cet automne 2016, quatre ans après la victoire contre César des opposants au projet d’aéroport, des menaces pèsent à nouveau sur la ZAD et ses habitants. L’évidente aberration que constituerait un aéroport à NDDL ou un pôle d’activité grand ouest réunit toujours plus de personnes que dégoûte un système moribond. Vociférations des lobbyistes chroniques, agitation policière, rumeurs diverses relatives à une expulsion imminente, c’est pour l’heure une bataille psychologique où les tests grandeur nature comme les effets de communication battent leur plein de part et d’autre, pour autant ces menaces pourraient tout aussi bien prendre corps et une expulsion survenir en vrai.

C’est pourquoi les composantes de la lutte s’accordent pour, cas échéant, contrecarrer toute intervention militaire ou policière sur la ZAD. Si les atermoiements de Hollande et ses acolytes débouchent sur un ordre d’expulsion et sa mise en œuvre, c’est une bonne partie de la jeunesse de tous âges qui doit se dresser alors, comme elle sait le faire. D’ores et déjà des réponses proportionnées sont prévues par le Comité ZAD de Rennes, relayant l’appel diffusé depuis la ZAD à rejoindre la zone, à se rassembler dans les villes des différents comités, à occuper les lieux de pouvoir et à engager des blocages économiques en ville et en région. Le soir même d’un début d’intervention, un rassemblement est appelé à 18h30 place Sainte-Anne ainsi qu’une manifestation qui devra être massive le premier samedi à Nantes. Une autre à Rennes le deuxième samedi.

Depuis l’épique bataille pour la ZAD de NDDL en 2012 et plus récemment la mort de Rémi Fraisse à Sivens le 26 octobre 2014, le pouvoir continue à déployer des armes dites « non-létales » ou à « létalité intermédiaire ». À Rennes, en décembre dernier, Babacar Gueye en crise de panique, à l’évidence inoffensif, est tué par la BAC. D’autres morts par la police s’ajoutent chaque année à la liste des victimes dont personne ne parle; des manifestants sont mutilés, tel Jean-François Martin le 28 avril dernier. Au lendemain de la tuerie du Bataclan, l’état d’urgence était institué, devenant dans les esprits et dans la pratique un mode de gouvernement. Que le pouvoir de justicier soit remis à la police pouvait paraître relever de l’exception, il devient assurément la règle, comme avant eux les jeunes des quartiers ou les migrants, les opposants à la loi «Travaille !» avaient pu le vérifier. Parmi les opposants, certains se voient délivrer des interdictions de centre-ville les jours de manifestation, y compris si elles sont liées à la ZAD, une interdiction qui peut valoir aussi pour la Loire-Atlantique. Ces mesures administratives qui s’accompagnent souvent d’interpellation concernant des affaires créées de toutes pièces pour appuyer ces interdictions courent pour la plupart jusqu’à la fin de l’état d’urgence, le 21 janvier 2016. Par ailleurs, la chasse aux exilés fuyant les massacres et la misère se poursuit sans relâche, les victimes d’une guerre globale deviennent les faciles boucs émissaires d’une société qui suffoque. On assiste, sidérés, à l’édification d’un mur à Calais, à la contamination de toute parole publique par l’incitation identitaire, à la gestion d’un parc humain où les flux migratoires sont des flux comme les autres et se calculent à coups d’indices et de matraques. Pour l’heure, la rumeur médiatique donne la priorité à l’expulsion de la jungle. Notre mobilisation doit valoir pour ces deux fronts, c’est une même logique de contrainte des corps qui veut évacuer les migrants de la jungle de Calais (où « la violence déployée devra apparaître comme une offre humanitaire ») et les habitants de la ZAD (où « l’attaque la plus brutale devra être présentée comme la réaction mesurée d’un gouvernement acculé »).

Et si nous avons à cœur de défendre l’expérience en cours sur la ZAD, c’est bel et bien pour qu’elle perdure dans sa forme et sa fécondité. Soit une expérience d’organisation sans l’État ni ses fétiches ni sa police, ni sa raison ni sa logique. Quelques centaines de personnes s’organisant librement dans un espace délivré du devenir béton, du devenir fric, du devenir rien. À travers ses cultures maraîchères, ses marchés libres, ses débats, ses constructions, sa radio klaxon, ses chicanes, ses hésitations, ses âpretés, la vie communale à la ZAD regorge de forces de présent et d’avenir. Là nous vérifions que nous avons prise sur nos vies et apprenons que nous pouvons faire commune partout là où nous sommes.

Indéfectiblement liés à ces habitants et à l’espace prometteur qu’ils ont ouvert, à Rennes nous sommes pour beaucoup partie prenante de cette aventure. Lieu mental aussi bien que physique, cet endroit nous appartient d’en être, à divers titres, les heureux complices. Aussi interdirons-nous que nos ennemis le reprennent et le dévorent, et gagnerons de décoller depuis des pistes réalisées sans flics et sans Vinci, traçant résolument nos propres trajectoires.

ComitéZadRennais, oct. 2016.
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