Lettre du Comité Zad Rennais (octobre 2016)

En cet automne 2016, quatre ans après la victoire contre César des opposants au projet d’aéroport, des menaces pèsent à nouveau sur la ZAD et ses habitants. L’évidente aberration que constituerait un aéroport à NDDL ou un pôle d’activité grand ouest réunit toujours plus de personnes que dégoûte un système moribond. Vociférations des lobbyistes chroniques, agitation policière, rumeurs diverses relatives à une expulsion imminente, c’est pour l’heure une bataille psychologique où les tests grandeur nature comme les effets de communication battent leur plein de part et d’autre, pour autant ces menaces pourraient tout aussi bien prendre corps et une expulsion survenir en vrai.

C’est pourquoi les composantes de la lutte s’accordent pour, cas échéant, contrecarrer toute intervention militaire ou policière sur la ZAD. Si les atermoiements de Hollande et ses acolytes débouchent sur un ordre d’expulsion et sa mise en œuvre, c’est une bonne partie de la jeunesse de tous âges qui doit se dresser alors, comme elle sait le faire. D’ores et déjà des réponses proportionnées sont prévues par le Comité ZAD de Rennes, relayant l’appel diffusé depuis la ZAD à rejoindre la zone, à se rassembler dans les villes des différents comités, à occuper les lieux de pouvoir et à engager des blocages économiques en ville et en région. Le soir même d’un début d’intervention, un rassemblement est appelé à 18h30 place Sainte-Anne ainsi qu’une manifestation qui devra être massive le premier samedi à Nantes. Une autre à Rennes le deuxième samedi.

Depuis l’épique bataille pour la ZAD de NDDL en 2012 et plus récemment la mort de Rémi Fraisse à Sivens le 26 octobre 2014, le pouvoir continue à déployer des armes dites « non-létales » ou à « létalité intermédiaire ». À Rennes, en décembre dernier, Babacar Gueye en crise de panique, à l’évidence inoffensif, est tué par la BAC. D’autres morts par la police s’ajoutent chaque année à la liste des victimes dont personne ne parle; des manifestants sont mutilés, tel Jean-François Martin le 28 avril dernier. Au lendemain de la tuerie du Bataclan, l’état d’urgence était institué, devenant dans les esprits et dans la pratique un mode de gouvernement. Que le pouvoir de justicier soit remis à la police pouvait paraître relever de l’exception, il devient assurément la règle, comme avant eux les jeunes des quartiers ou les migrants, les opposants à la loi «Travaille !» avaient pu le vérifier. Parmi les opposants, certains se voient délivrer des interdictions de centre-ville les jours de manifestation, y compris si elles sont liées à la ZAD, une interdiction qui peut valoir aussi pour la Loire-Atlantique. Ces mesures administratives qui s’accompagnent souvent d’interpellation concernant des affaires créées de toutes pièces pour appuyer ces interdictions courent pour la plupart jusqu’à la fin de l’état d’urgence, le 21 janvier 2016. Par ailleurs, la chasse aux exilés fuyant les massacres et la misère se poursuit sans relâche, les victimes d’une guerre globale deviennent les faciles boucs émissaires d’une société qui suffoque. On assiste, sidérés, à l’édification d’un mur à Calais, à la contamination de toute parole publique par l’incitation identitaire, à la gestion d’un parc humain où les flux migratoires sont des flux comme les autres et se calculent à coups d’indices et de matraques. Pour l’heure, la rumeur médiatique donne la priorité à l’expulsion de la jungle. Notre mobilisation doit valoir pour ces deux fronts, c’est une même logique de contrainte des corps qui veut évacuer les migrants de la jungle de Calais (où « la violence déployée devra apparaître comme une offre humanitaire ») et les habitants de la ZAD (où « l’attaque la plus brutale devra être présentée comme la réaction mesurée d’un gouvernement acculé »).

Et si nous avons à cœur de défendre l’expérience en cours sur la ZAD, c’est bel et bien pour qu’elle perdure dans sa forme et sa fécondité. Soit une expérience d’organisation sans l’État ni ses fétiches ni sa police, ni sa raison ni sa logique. Quelques centaines de personnes s’organisant librement dans un espace délivré du devenir béton, du devenir fric, du devenir rien. À travers ses cultures maraîchères, ses marchés libres, ses débats, ses constructions, sa radio klaxon, ses chicanes, ses hésitations, ses âpretés, la vie communale à la ZAD regorge de forces de présent et d’avenir. Là nous vérifions que nous avons prise sur nos vies et apprenons que nous pouvons faire commune partout là où nous sommes.

Indéfectiblement liés à ces habitants et à l’espace prometteur qu’ils ont ouvert, à Rennes nous sommes pour beaucoup partie prenante de cette aventure. Lieu mental aussi bien que physique, cet endroit nous appartient d’en être, à divers titres, les heureux complices. Aussi interdirons-nous que nos ennemis le reprennent et le dévorent, et gagnerons de décoller depuis des pistes réalisées sans flics et sans Vinci, traçant résolument nos propres trajectoires.

ComitéZadRennais, oct. 2016.
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